Ann-Kathrin Graf – Une femme en fin de vie, une autre qui attend un enfant: Sarah, la narratrice de "La mort du hibou", s'inscrit dans une généalogie sur trois générations, l'une en devenir, l'autre en voie de s'éteindre. Et alors que Sarah, inquiète pour sa grossesse, se rend chez son médecin, elle repense à sa mère. Dès lors, sur le mode du flash-back, le premier roman d'Ann-Kathrin Graf développe et associe les thématiques classiques mais complexes des relations mère-fille et du rapport à la mort.
Le lecteur de "La mort du hibou" doit dès lors s'attendre à un rythme lent, reflet de souvenirs qui viennent peu à peu et sur lesquelles l'auteure glisse en alternance, en des temporalités diverses qui font contraste. La mère de Sarah apparaît ainsi comme un personnage flamboyant auquel se rattachent de nombreuses anecdotes improbables, liées à des voyages dans le monde entier, entre autres au Ghana. L'auteure s'éclate à les écrire...
... et cela fait contraste avec ce qu'est devenu ce personnage en ses derniers jours. L'auteure dessine avec minutie les difficultés liées au grand âge, en mettant l'accent sur la perte de la vue et une lucidité à éclipses. Des choses que Sarah est seule à devoir supporter. Le poids qu'est devenu cette dame fait contraste avec la légèreté avec laquelle elle a traversé sa vie, renvoyant au lecteur l'image d'une belle fleur qui s'est fanée et qu'il faut aimer, ou soutenir en tout cas, quand même. Seule: il ne reste rien des amitiés mondaines, si ce n'est une certaine Esther, qui paraît même sonner faux lorsqu'elle apparaît.
Porté par des allusions religieuses récurrentes telles que le décès de la mère le jour de Pâques, ou les quarante jours qui ont suivi, comme une forme de carême (p. 134), "La mort du hibou" constitue un récit du rapport à la mort que peut vivre une personne âgée qui semble danser avec la camarde: un pas en avant, un autre en arrière – comme Lazare, l'ami du Christ, justement évoqué. La romancière exploite la résonance que ce rapport à la mort suscite chez Sarah, toujours sur le qui-vive, annulant des rendez-vous par crainte de cette issue.
Parmi les pas de cette danse, la romancière utilise l'idée des expériences au seuil de la mort – expérience particulière: si la mère de Sarah est devenue aveugle, elle identifie parfaitement le fameux tunnel avec une lumière au bout – et qui résonne avec l'expérience que fait Sarah en fermant simplement les yeux, en fin de roman, sur le conseil d'un médecin. Pour la mère comme pour la fille, l'issue en blanc apparaît dès lors comme une promesse d'apaisement après les tourments terrestres.
Et qui est la narratrice? Certes, c'est elle qui parle, tout au long des 144 pages de ce roman. Mais qu'en sait-on, à part qu'elle attend un enfant? Sarah lui reproche, à cette mère à la personnalité écrasante, de ne pas la laisser vivre autrement qu'à travers elle, lui dictant ses choix. Dès lors, la mort est-elle une délivrance pour les vivants autant que pour la défunte? Le "J'ai tout mon temps." qui conclut "La mort du hibou" le suggère, en une fin ouverte – ouverte aussi à la nouvelle génération, celle qui naîtra de Sarah.
Quitte à ce que cela passe parfois pour des lenteurs, l'auteure assume sa volonté de dessiner en profondeur les méandres d'une relation mère-fille, dans toutes ses spécificités et complexités. Le thème est classique, rebattu diront certains; mais le premier roman d'Ann-Kathrin Graf se démarque par la singularité cultivée de ses personnages et par la rigueur et la densité avec laquelle il aborde des thématiques connexes mais cruciales telles que la religion, chrétienne en l'occurrence, ou les relations humaines mises à l'épreuve de la mort.
Ann-Kathrin Graf, La mort du hibou, Lausanne, Plaisir de lire, 2021.
Le site des éditions Plaisir de lire.
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