Metin Arditi – Donner la parole à quelques fantômes, réels ou imaginaires. Tel est le fil directeur des trois monologues réunis par l'écrivain Metin Arditi dans le recueil théâtral "Freud, les démons". Il y a Sigmund Freud là-dedans, bien sûr, mais aussi le père de Vincent Van Gogh. Et un chef d'orchestre imaginaire, Grégoire Karakoff.
Et il est dense, le monologue éponyme où Sigmund Freud s'exprime, au soir de sa vie. Il y a là le ton de la psychanalyse, bien sûr, comme si le narrateur passait à son tour sur le divan. C'est en fin de séquence que le lecteur, ou l'auditeur, va découvrir d'où pourrait provenir l'idée de "tuer le père" – il y a là une forme de renversement. Cela, après l'évocation d'actes manqués, par exemple dans la relation de Freud avec Lou-Andreas Salomé. A l'avenant, ce monologue fera mouche chez ceux qui connaissent un peu le personnage.
Le troisième monologue du recueil, et le plus court, "Au nom du père", donne la parole au père de Vincent Van Gogh, Cornelius, pasteur de son état, souvent vu comme un personnage méchant. De la dispute du soir de Noël 1881, relatée par ce père, la narration passe à des considérations plus générales, recréant les réflexions d'un chrétien face à un devoir d'humilité qui devrait se faire discret et celles d'un père face à un fils dont il juge qu'il n'a pas le talent requis pour devenir peintre.
Enfin, le monologue "Maestro!", deuxième de l'ouvrage, se place un peu à part, dans la mesure où il met en scène un personnage fictif. L'évocation densément construite de ce chef d'orchestre âgé qui perd la mémoire s'accompagne de citations d'extraits musicaux que le lecteur peut imaginer et que le spectateur ne manquera pas d'entendre. Les éléments de technique musicale sonnent vrai, mais l'essentiel est ailleurs: il est dans l'idée que ce qui se joue, c'est l'émergence d'une génération qui va pousser le vieux chef dehors. Un vieux chef qu'on sent désabusé après tant de "neuvièmes" de Beethoven, et qui commence à filer la métaphore du perroquet surnommé "Maestro".
Ces monologues sont plutôt courts, on les lit rapidement, mais ils portent en eux une densité indéniable. Leur fil rouge? L'auteur met en scène trois personnages en proie avec leurs propres démons – et c'est Sigmund Freud qui s'y colle d'abord. Et au travers de ces personnages dont on devine qu'ils lui sont chers, l'écrivain ne parle-t-il pas aussi pas mal de lui-même?
Metin Arditi, Freud, les démons, Lausanne, BSN Press, 2021.
Le site des éditions BSN Press.
Lu par Jean-Michel Olivier.
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