samedi 3 août 2019

Des fachos à la mairie de Brest? Cours toujours, camarade!

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Hervé Jaouen – Alors oui, c'est du passé. Mais imaginez une seconde: la mairie de Brest est tenue par l'extrême droite en 1989, année des grandes commémorations de la Révolution française – rien à voir avec la réalité, puisqu'à ce moment-là, le socialiste Pierre Maille était aux affaires. Publié pour la première fois en 1987, le roman "Coup de chaleur" d'Hervé Jaouen fait dès lors figure de roman d'anticipation inquiète.


Quelle extrême droite l'auteur donne-t-il à voir à ses lecteurs? C'est d'abord un bord qu'il laisse agir sans l'enfoncer, tout en dessinant son portrait sans concession. L'action la plus concrète, c'est une course d'endurance à travers la ville, à laquelle seuls les Français et les Brestois sont invités à participer. Cette course est par ailleurs présentée comme le symbole d'un virilisme exacerbé, qui glorifie les vertus de la force physique vue comme un atout typiquement masculin. Fascisme? Le mot vient à l'esprit du lecteur, qui trouve au maire, Charles Martel, un petit côté mussolinien. Et du reste, jamais, même si elles sont admises à participer, on n'envisage qu'une des femmes inscrites puisse gagner...

... gagner, d'ailleurs? Cette course est dotée d'un prix unique: la personne gagnante sera employée de la municipalité. Un poste de fonctionnaire sûr, des plus alléchants. Les candidats sont assez nombreux: 200 coureurs tentent leur chance. L'écrivain dessine avec justesse les principaux profils des coureurs: il y a des dilettantes (il leur réserve de jolis portraits, empreints d'humanité – on sourit en voyant abandonner cette fille trahie par ses tétons qui frottent douloureusement son T-shirt... Ouch, ça brûle!), des drogués de la course (les "speedies de la courette", comme l'auteur les nomme en exergue – on pense au Pablo du roman "Les ennemis de la vie ordinaire" d'Héléna Marienské), et dix personnages qui en veulent vraiment. En fait, neuf plus un: il y a l'équipe de malabars soutenue par la mairie d'extrême droite en place, et Denis, gauchiste par conviction, qui fait figure de grain de sable.

Il est permis de penser au roman "On achève bien les chevaux" de Horace McCoy, certes! Mais le concept de la course renvoie aussi à "Marche ou crève" de Stephen King. En effet, c'est celui qui tient le choc jusqu'au bout qui gagne le job, dans le contexte bien connu des années 1980, marquées par le chômage en France. Dans un souci de réalisme, l'auteur relève qu'une telle épreuve, fondée sur les abandons successifs des candidats, n'est pas tout à fait éthique – le chapitre VI du roman résume ces questions en mettant en scène un spécialiste du sport de fond face aux organisateurs. Mais quoi? Pourquoi ne pas organiser cette course aux accents de télé-crochet?

Roman réaliste, "Coup de chaleur" fonctionne sur les difficultés spécifiques à la course de fond, tout en en représentant le caractère populaire puisqu'il est question d'une course en pleine ville de Brest, où ça monte et ça descend (ah, la rue de Siam!). Dans toute la mesure de son court roman, l'écrivain indique de manière justement ciblée les difficultés d'une telle épreuve, truquée qui plus est. Et bien sûr, l'issue n'a rien de bêtement manichéen, suggérant que les champions, c'est-à-dire Denis le gauchiste et Yellow-Sub le candidat des fachos, se sont entendus. Et c'est à "Gabrielle" de Johnny Hallyday, chanteur populaire s'il en est, que reviennent les derniers mots, balancés d'un juke-box.

"Coup de chaleur", c'est du Hervé Jaouen dans le meilleur de ses œuvres: la Bretagne en solide toile de fond, des personnages déterminés et bien construits, et une intrigue déclinée sur un ton vigoureux voire truculent. Qui plus est, dans ce roman, on apprécie des dialogues travaillés avec justesse jusque dans la caricature, à l'instar des paroles de l'avocat limite-limite René Dufoix-Granier, éminence grise du maire de Brest, Charles Martel, ancien catcheur. Les mots d'un baveux sont-ils solubles dans le verbe d'un sportif de combat? Le chapitre IV en particulier, après les précédents qui préparent le terrain, laisse les lecteurs juges...

Hervé Jaouen, Coup de chaleur, Editions de La Chapelle, 2004. Première édition: Fleuve Noir, 1987.

Le site d'Hervé Jaouen.

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