samedi 27 juillet 2019

Avec Héléna Marienské, partageons l'addiction!

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Héléna Marienské – "Abstinents s'abstenir", dit la quatrième de couverture. Que c'est vrai: sur un ton absolument délirant et bourré d'humour (et d'alcool aussi, un peu: faut ce qu'il faut, hein!), la romancière Héléna Marienské relate la destinée de sept personnes dépendantes. Tel est le propos de "Les ennemis de la vie ordinaire": sortir de son addiction, c'est peut-être pire qu'y rester... et y trouver son compte en définitive. Politiquement pas très correct, mais qu'est-ce qu'on se marre!


Sept personnages dépendants donc, comme les sept péchés capitaux – il est permis d'y penser lorsqu'on voit les addictions mentionnées. Elles peuvent être classiques ou moins attendues: addiction au jeu ou à l'alcool, penchant pour les achats compulsifs, manie du sport extrême, drogues dures, sexe même. Chaque addiction est portée par un personnage. L'auteure les caractérise clairement, leur offrant des voix: on aime l'ambiance électrique de la scène de casino en pages 11 et suivantes, telle que décrite par Gunter. Il arrive certes que le français en sorte un peu esquinté, par exemple lorsque le roman cite le journal intime de Mariette, la junkie qui n'a pas été beaucoup à l'école. Mais le principal, c'est que ça sonne vrai et que ça bouge.

Au-delà des mots, chacun des personnages mis en scène s'avère attachant. Tous ont une profondeur, une histoire. Et au présent, ils sont flamboyants. L'auteure assume un côté caricatural, par exemple lorsqu'elle décrit ce prêtre cocaïnomane qui a la même tête que le pape François et parle de Dieu dès qu'il ouvre la bouche, en une phraséologie catholarde qui tient de la langue de bois. N'est-ce pas un masque, du coup?

Il est dès lors permis de lire "Les ennemis de la vie ordinaire" comme un roman où chaque personnage tombe le masque pour vivre de façon plus vraie, en assumant son addiction. Le thème du masque, du déguisement, apparaît d'ailleurs par le biais du personnage de Damien, professeur de littérature accro au sexe, pratiqué si possible avec des costumes improbables. Mariette y trouvera son compte... Sans insister, ce jeu de masques rappelle cependant une chose: face à la société, les addictions sont souvent quelque chose qu'on aimerait masquer.

Cela dit, l'auteure décrit avec maestria une dynamique de groupe épatante, porteuse d'un crescendo qui n'est pas sans rappeler certains romans de Tonino Benacquista: jusqu'où vont-ils aller, et quand vont-ils se casser la figure? En face des sept moteurs du roman, il y a Clarisse, psychologue spécialiste ès addictions, apprentie sorcière qui, ayant voulu rapprocher des personnes dépendantes aux profils divers en une thérapie de groupe, se retrouve très vite débordée. La romancière en avait besoin pour allumer la mèche, elle l'évacue avec aisance après usage, laissant les patients en roue libre... après avoir suggéré que s'il est utile de réfléchir sur les addictions, il est aussi pertinent de mettre en question la manière d'y remédier.

Et voilà que tout s'achève, presque trop vite, sur un tournoi de poker endiablé à Las Vegas alias Sin City (quand je vous parlais de péchés capitaux...), où nos personnages jouent la gagne, quitte à user de moyens limite-limite qui font penser aux méthodes de triche présentées dans "Les sous-doués". Cela, au bout d'un texte qui assume la solidité de ses allusions littéraires, entre autres à Molière et au "Tartuffe": ce roman est construit en cinq partie comme les cinq actes de la pièce de théâtre, et les "Le pauvre homme!" lâchés par le lettreux Damien mettent clairement le lecteur sur la voie.

On sort de cette lecture avec un sentiment important: oui, il est permis de rire des addictions, sans mesure, et de prendre ses distances avec les discours moralisateurs en la matière. Ces addictions, il est même permis de les cumuler et de s'en trouver bien! Certes, ce qu'on peut aussi penser, c'est que l'argent peut tout, si mal acquis qu'il soit. Autant dire que "Les ennemis de la vie ordinaire" est le roman déjanté, délicieusement amoral voire transgressif, d'une bande de joyeux foldingues de tous âges qui, au fil des pages, décident de s'assumer et d'aménager leur vie en conséquence, pourvu qu'elle ne soit pas ordinaire.

Héléna Marienské, Les ennemis de la vie ordinaire, Paris, Flammarion, 2015.

Le site des éditions Flammarion.


Le titre de ce billet est un clin d'oeil à l'ami Nicolas Jégou.

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