Olivier Pitteloud – Ils sont nombreux, les cadavres qui hantent les placards du deuxième roman d'Olivier Pitteloud! Avec "Après la colonie", l'écrivain explore à sa manière le monde plutôt classique des secrets lourds et malsains qui pèsent sur des individus, des familles ou, en l'espèce, des villages entiers. Cela, dans le contexte reculé d'un patelin qui pourrait bien être valaisan: il y a des mayens (pp. 30/31)...
Le premier chapitre constitue une exposition exemplaire: pour motiver le lecteur, il suggère par bribes, sans en dire trop, qu'il y a un secret qu'on tente d'étouffer. Il y a peut-être un accident de voiture dans le coup, peut-être quelque chose de plus grave. Un camelot qui fait la boucle, une veuve depuis peu. Par bribes, le lecteur est ferré.
Et puis, plus précisément, l'auteur place au cœur de son intrigue le bâtiment d'une colonie de vacances où la jeunesse aisée venue de loin passe ses mois d'été. Des villageois y travaillent. Et abusent parfois: on se permet, hein, après tout ils viennent d'ailleurs, même si c'est des richoux. Surtout si les abuseurs sont les fils de notables locaux, qu'on protège. Sauf que parfois, il y a des témoins. Alors forcément, ça se sait, parce que le mal, sans qu'on sache trop comment, transpire. Cela, avec les conséquences que cela implique: morts et suicides, accidents, évitements dus à des liens rompus. On l'a compris: ce secret qui transpire, c'est ce que l'auteur met à nu. Et ça a son odeur.
Tout cela, le romancier le distille lentement, dans un roman qui, s'il est court, s'avère travaillé et prend tout le temps nécessaire pour raconter les choses tout en allant à l'essentiel: pour le dire en un mot, "Après la colonie" est un livre dense. Résultat: théâtre de drames forts, la colonie qui figure dans le titre du livre apparaît encore longtemps après comme un lieu maudit, qui fait peur aux personnes simplement parce qu'ils y ont aperçu une lumière inexpliquée.
L'auteur dessine aussi une mentalité villageoise particulière, fermée. Ce que l'on se permet de façon brutale et vicieuse avec les jeunes de la colonie, on se l'autorise aussi, de façon plus feutrée, avec les plus grands. Après tout, les horsains ne sont pas d'ici et ne le seront jamais, malgré tout effort d'intégration. Un seul exemple, ce personnage qu'on surnomme très vite "L'Allemand", dont l'auteur dessine en une constante lancinante son caractère d'éternel étranger. Le surnom de "L'Allemand" est du reste un préjugé à lui seul: en fait, le bonhomme est autrichien. Et pour s'intégrer, il épouse celle dont personne ne veut.
On l'a compris: le lecteur qui s'embarque dans la lecture de "Après la colonie" doit s'attendre à un univers sombre et épais comme une chape de plomb, loin des "jolies colonies de vacances" et sans l'humour distancié et ravageur de Pierre Perret. L'auteur confirme le choix d'une mise à nu sans concession en privilégiant les paragraphes et les phrases longs. Etouffante parfois, son écriture est celle du ressassement, mais aussi celle du rythme, avec des phrases à la longueur calculée, haletantes même lorsqu'elles sont longues, transpercées par moments par des mots familiers, voire populaires, qui claquent et détonnent. Sculptées par les virgules, toutes ces phrases laissent entendre la musique personnelle de l'écrivain. singulière et exigeante.
Olivier Pitteloud, Après la colonie, Lausanne, L'Age d'Homme, 2019.
Le site des éditions L'Age d'Homme.
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