lundi 19 août 2019

Vrainville, jusqu'à la révolte

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Hervé Commère – Tout commence le 12 juillet 1998, quelque part du côté de Dieppe. A Paris, les Bleus décrochent leur première étoile en championnats du monde de football. En province, la vie continue: sorties de boîte, naissance, mort, picole, viols, accidents de la route. Tout cela va lier les six personnages clés du roman "Ce qu'il nous faut, c'est un mort" d'Hervé Commère. La construction est astucieuse: ce lien apparaît comme plus ou moins conscient, et se révèle aux personnage petit à petit. Il est porteur de lourds secrets; et à un moment donné, les temps sont mûrs pour qu'ils éclatent au grand jour. Ou pas. Jusqu'à la révolte.


C'est dix-huit ans après que l'on retrouve tous ces personnages, en effet. L'un d'entre eux est devenu le patron de l'entreprise locale de lingerie fine, Cybelle, une entreprise familiale: le nouveau boss représente la troisième génération des Lecourt. Et c'est toute une sociologie que l'écrivain dessine autour de l'usine, au travers des évolutions du management, d'un paternalisme à fibre sociale vers la recherche du profit, sèche et impitoyable. La mondialisation est passée par là... Impossible de ne pas penser aux Lejaby. 

Sociologie humaine et villageoise aussi: l'entreprise a développé ses rituels, ses légendes et son folklore, par exemple le coup de vin blanc annuel offert par le bistrot, en souvenir du jour où le fondateur de l'entreprise a envoyé péter la hautaine Mme de Koninck, venue de Paris pour vendre très cher une production de lingerie qui assume son caractère accessible à toutes. A travers le quartier de 149 maisons ouvrières construit par le même fondateur pour que les ouvrières puissent habiter près de leur travail, l'auteur met en évidence la manière dont une entreprise florissante peut modeler le territoire. 

Tout cela s'inscrit bien sûr dans une intrigue à caractère policier. Les amitiés se défont, les policiers deviennent bien malins, et quelques morts finissent par apparaître. On pense à Maxime Lenotre: qui l'a tué? Est-ce un suicide? Une vengeance? L'auteur excelle à balader les soupçons, tout en reflétant fidèlement quelques inquiétudes bien légitimes chez certains personnages. 

Il est intéressant de relever que la paix du village fictif de Vrainville, qui couvre certes ses secrets d'un silence solide, commence à se déliter plus ou moins au moment où Cybelle fait l'objet de restructurations en vue d'une vente permettant à son patron d'aller se faire bronzer en vivant de ses rentes. Soudain, des photos compromettantes font surface, mais le sont-elles tant que ça? Les fausses pistes sont nombreuses, et l'auteur surprend à plus d'une reprise: le diable n'est jamais là où on l'attend. 

Mené à la vitesse d'une voiture lancée à fond sur la falaise, à deux doigts de tomber, "Ce qu'il nous faut c'est un mort" constitue un roman noir que l'on dévore, irrigué par l'observation acérée du microcosme que représente un village vivant de "son" usine. Cela, non sans une tendresse certaine pour les petites gens, notamment les ouvrières telles que Mélie, qui a la vocation chevillée au corps.

Hervé Commère, Ce qu'il nous faut c'est un mort, Paris, Fleuve Noir, 2016.

Le site des éditions Fleuve Noir.



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