Laure Mi Hyun Closet – Paru en 2014, "On ne dit pas "je"!" est l'un des tout premier ouvrages de Laure Mi Hyun Croset. Il y est question d'un certain Lionel Stéphane Dulex, garçon que la romancière a rencontré dans le monde de la nuit. Raconter son histoire? C'est ce que Lionel a proposé à Laure. Défi relevé! Il en est résulté un ouvrage court et dense, "bilan sacré" exemplaire de ce que peut être une jeunesse marquée par l'univers de la drogue tel qu'il se concevait en Suisse à la fin du vingtième siècle.
Tout commence derrière les barreaux d'un lit d'enfant, qu'on peut voir comme la préfiguration de ceux d'une prison: voici le petit Lionel, ballotté dans un environnement familial instable et dysfonctionnel que la romancière recrée avec un soupçon d'humour distancié, grinçant par moments. Tout est en place pour que Lionel dérape, c'est ce que se dit le lecteur adulte, ayant eu le bonheur de traverser sa jeunesse sans plonger vers le fond.
C'est que Lionel va foncer dans le monde de la drogue, en un crescendo que ce récit biographique épouse. L'écrivaine ne juge pas, ne cède jamais à la tentation de dramatiser: elle se contente de raconter avec objectivité le destin de son personnage, et c'est sans doute le plus difficile dans un tel projet littéraire. Exercice réussi! Le lecteur trouvera, sans fard, les histoires et anecdotes d'un drogué qui cherche désespérément de quoi se payer sa dose, qui joue à cache-cache avec la police, mais qui vit aussi une existence aventureuse qui le formera, entre expéditions en Thaïlande avec son père et errances en Europe, pouce tendu sur le bord des routes.
Avide de justesse, nourrie d'un certain humour, l'écriture s'avère impeccablement précise pour décrire le destin d'un jeune homme, entre moments forts et positifs qu'il convient de relever et plongées vertigineuses dans l'enfer des toxicomanies les plus diverses.
Il est permis de penser, au fil des pages de "On ne dit pas "je"!", au témoignage "Moi, Christiane F., droguée, prostituée...", et pas seulement parce que le destin de Lionel passe par Berlin: en évoquant ce récit, la romancière fait de son livre le récit frère de celui de Christiane F. Cela, sans oublier que de même que l'histoire de Christiane Felscherinow a été rédigée par des tiers, journalistes de leur état, le destin de Lionel a été mis en récit par une romancière.
La franchise du propos permet à l'auteure de mettre à nu ce qui peut fabriquer un toxicomane: l'absence de considération, positive ou non, de la part des parents ou de l'entourage, le contexte social dont on s'éloigne et qu'on craint de retrouver de peur de replonger, l'envie de frimer à l'école ou ailleurs, d'être populaire en somme. Cela s'accompagne de mensonges aux uns et aux autres, de dissimulations, et force est de relever que Lionel se montre assez adroit pour se créer un personnage et masquer son côté sombre et intoxiqué.
Une génération après "Moi, Christiane F., drogue, prostituée...", "On ne dit pas "je"!" se révèle comme le témoignage important. Il relate la vie d'un garçon qui plonge jusqu'au fond, mais conserve jusqu'au bout une étincelle, une envie de vivre et, en définitive, de trouver sa place dans le monde des humains, sans la béquille des stupéfiants et de leurs promesses fallacieuses. Clean, Lionel fait à présent partie du monde de la nuit romand. Peut-être fallait-il tout ce parcours tortueux pour en faire un homme; s'il a tourné le dos à toute drogue illégale, il assume pleinement l'expérience que lui aura valu son parcours, si tortueux et torturé qu'il ait été.
Laure Mi Hyun Croset, On le dit pas "je"!, Lausanne, BSN Press, 2014.
Le site de Laure Mi Hyun Croset, celui des éditions BSN Press.
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