mardi 13 août 2024

Du grand cinéma chez les grands-bourgeois avec Pierre Assouline

Pierre Assouline – Sacré repas que celui mis en scène dans le roman "Les invités" de Pierre Assouline! L'auteur plonge avec un regard délicieusement vache et parfaitement affûté dans l'ambiance d'un repas grand-bourgeois entre personnages plus ou moins en vue, organisé dans un quartier très chic de Paris. Le déroulement est linéaire, pétri de tensions, et le lecteur, au fil des pages, ne peut que se demander quand et comment la catastrophe surviendra. Mais si les cartes seront bien redistribuées en fin de roman, l'auteur se montre plus subtil que cela...

... tout commence sur un ton empreint de juste ce qu'il faut de préciosité pour décrire l'action d'une femme passée experte dans l'art d'organiser des dîners mondains chez elle. Le lecteur sent immédiatement qu'on est dans la caricature, il se croit par moments dans le film "Les Vestiges du jour" de James Ivory (la référence est assumée d'ailleurs); mais il perçoit qu'il y a quand même un peu de vrai dans l'engagement de cette femme, qui s'investit à fond dans son rôle, joué dans le cadre d'une comédie sociale. 

Il fait aussi la connaissance de Sonia, la bonne, qui va jouer un rôle clé lorsqu'il s'agira de faire tomber les masques au fil d'une soirée où, au gré de la conversation, les préjugés vont s'étaler tranquillou, donnant l'impression que personne autour de la table, pas même l'ambassadeur de service, n'est jamais sorti de son VIIe arrondissement parisien. Et qu'au-delà de ce périmètre, c'est la jungle.

Les phrases du long chapitre d'exposition apparaissent comme autant de piques lancées à un certain mode de vie, chic et déconnecté, qui se prend très au sérieux. Ces piques vont se transformer en authentiques banderilles dès lors que l'auteur décrit les échanges entre invités qui interviennent autour de la table, et qui ne manquent jamais de viser quelqu'un jusqu'à le tuer socialement, du moins l'espace d'une soirée. 

Invités? S'il y a des invités chez "Madamedu", surnom de l'hôtesse, l'auteur rappelle qu'il y en a aussi dans les différents pays, en prenant l'exemple de la France pour dire que tel personnage, pourtant parfaitement français, devra constamment se sentir invité dans son pays, pour des questions de prénom ou d'histoire de vie – en plus d'être d'origine algérienne modeste et native de L'Estaque, Sonia, doctorante en histoire de l'art, apparaît comme une potentielle transfuge de classe. Et invité, il y a différentes manières de l'être selon l'auteur: l'auteur applique également cette idée, ce sentiment d'être constamment "l'invité" aux Juifs de France, mais aussi à un expatrié canadien, George Banon, invité par intérêt pour le mari de la maîtresse de céans et qui joue sa propre partition.

La caricature est poussée de plus en plus loin au fil des pages, quitte à faire apparaître ces personnages pour ce qu'ils sont: finalement plus ridicules que franchement nuisibles. Ce n'est pas la seule référence cinématographique de ce roman, mais force est de relever que lorsque les dames du repas se retrouvent bloquées dans l'ascenseur que les messieurs leur ont laissé par galanterie, on songe à un running gag du film "Le Père Noël est une ordure"...

"Les invités" alterne les scènes de genre et les bons mots plus ou moins frais, lancés par des convives de plus en plus éméchés. Il sait être tour à tour ironique en mode cinglant, réfléchi et amusant. Et c'est dans le meilleur esprit de la comédie qu'il ambitionne de châtier les mœurs par le rire. Pari(s) réussi!

Pierre Assouline, Les invités, Paris, Gallimard, 2009/Folio, 2010.

Le site des éditions Gallimard, celui des éditions Folio.

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