Elsa Errack – La sommation habituelle dans le monde du roman, c'est de "tirer sur le pianiste". Dans "Des Colts et du Beethoven", c'est le contraire: avec le beau Victor Brennan, l'écrivaine Elsa Errack met en scène un jeune homme à la fois as de la gâchette et virtuose des claviers. Ce premier roman trouve son cadre dans le monde aventureux du Far West, dans les années 1870: voilà un western en bonne et due forme, riche en action et solidement documenté, y compris pour ce qui peut sembler anecdotique. Quant à son sous-titre "Et il paraît que la musique adoucit les mœurs", il s'avère doucement ironique...
Formidable personnage que ce Victor Brennan, alliant deux savoir-faire rapprochés de façon pour le moins inattendue! Travaillé en profondeur jusque dans ses tourments et ses ambiguïtés, il attire la sympathie du lecteur alors que, disons-le: c'est un tueur à gages! L'auteure le rend sympathique en dévoilant sans fard ses doutes quant à ce métier exercé par nécessité matérielle et ses aspirations pianistiques, pas forcément évidentes à réaliser dans un Ouest américain qui n'accorde guère de place à Beethoven, à Liszt et à leurs collègues.
Cette tension entre les contraintes matérielles qui aliènent et les aspirations personnelles les plus profondes se retrouve chez deux autres personnages en tout cas, qui sont les comparses de Victor: Sam, roi constamment ivre de la combine, poète flamboyant à ses heures, et Elmer, passionné de médecine capable d'en remontrer à plus d'un professionnel. Tous trois auront dû se battre contre une vie rude pour, enfin, avoir leur chance de s'établir: Victor comme pianiste, Sam comme photographe et Elmer comme pharmacien. Pour eux trois, l'errance à travers l'Ouest inhospitalier fait figure de métaphore d'une odyssée menant à l'accomplissement de soi.
Même si ces cheminements ne s'expriment pas dans les mêmes termes pour elles, les femmes ne sont pas oubliées par la romancière. Au-delà des profils classiques de la mère (entre autres à travers la mère de Victor, de Ruth) et de la putain (oui, il y aura aussi des scènes de bordel, mais version chic!), la romancière met aussi en scène quelques femmes qui tiennent à imaginer pour elles une nouvelle voie dans ce pays neuf que sont les Etats-Unis. On découvre ainsi Octavie, une comtesse richissime et fantasque, la jeune Suzy dont on ne saura pas si c'est vraiment une menteuse, ou Laura, si déterminée qu'elle a imposé à sa famille et à son entourage sa vocation de médecin et sa volonté de poursuivre des études poussées dans cette voie. Bien sûr, l'amour va s'en mêler!
Si les espaces sont grands, tout ce petit monde s'entrechoque entre une poignée d'Etats américains dans "Des Colts et du Beethoven". Et comme on ne trace pas sa route sans faire des mécontents, surtout si l'on est un tueur à gages aux airs de mirliflore, l'ambiance est constamment tendue. Voilà qui pousse irrésistiblement à tourner les pages, et même à dévorer des paragraphes parfois longs, ponctués çà et là d'un zeste d'humour malicieux, contrebalancés par des dialogues rapides et maîtrisés.
Toute cette intrigue habilement troussée, soucieuse de ses personnages comme du contexte dans lequel ils évoluent, se termine enfin sur une ultime astuce de scénario. Et si l'on sait ce qu'il advient de Victor Brennan à la fin de ce roman pétri de références artistiques et musicales, force est de relever que "Des Colts et du Beethoven" laisse un peu le lecteur en suspens, notamment pour ce qu'il va advenir de son entourage: entre des fiançailles en suspens, une carrière de pianiste qui vient à peine de décoller et quelques personnages au sort incertain, il y a largement de quoi faire un deuxième volume! Alors... affaire à suivre, a fortiori avec des personnages aussi riches? Chiche!
Elsa Errack, Des Colts et du Beethoven, Ed. Elsa Errack/Librinova, 2022.
Le blog et le site d'Elsa Errack, sa page sur Librinova. Lecture en partenariat avec SimPlement.pro.
Bonjour Fattorius et merci pour ce partage ! Du western drôlement romanesque, ça promet !
RépondreSupprimerBonsoir Aïkà, merci de votre commentaire! Oui, il y a de l'action et ça vaut le coup d'œil. Cela prend même parfois des airs de Lucky Luke, par exemple lorsque le pianiste est obligé, pour la photo, de revêtir une tenue qui rappelle le cow-boy solitaire, avec une chemise jaune et un foulard rouge... A découvrir!
SupprimerJe tenais à vous remercier pour votre si belle chronique qui donne envie de lire mon roman. Et je peux vous le dire, oui, il y aura une suite ! Je suis en train de l'écrire. J'en profite pour vous souhaiter une très belle année 2024.
RépondreSupprimerBonsoir Elsa, heureux de vous lire ici! Oui, j'ai passé un très bon moment de lecture avec Victor Brennan et tous vos personnages – et je vous en remercie chaleureusement!
SupprimerMerci également pour vos vœux; à mon tour, je vous souhaite une excellente nouvelle année 2024.
A vous relire! :-)