Romain Gary – Elles sont variées, les nouvelles du recueil "Les oiseaux vont mourir au Pérou" de Romain Gary. Pourtant, elles sont reliées entre elles par un certain nombre de constantes, telles que la condition juive marquée par l'expérience récente de la Seconde guerre mondiale, le goût du voyage en Amérique ou ailleurs, et en particulier par une féroce rouerie, mise au service d'une peinture implacable, souriante et désespérée à la fois, des petits et des grands travers de l'humanité.
L'auteur n'est pas des plus tendres avec ses personnages, en effet. On se souvient entre autres de ce conférencier bravache, courageux en chambre, piégé dans une chasse au requin dans "Je parle de l'héroïsme", ou de ce Juif allemand entrepreneur spécialisé dans les jouets, enfermé dans sa cave, et que des voisins obligeants continuent d'exploiter bien après la fin de la guerre en lui faisant croire que le régime nazi se poursuit et qu'il vaut mieux rester caché. "La plus vieille histoire du monde" évoque même un improbable rescapé des camps de la mort, fou paranoïaque devenu complotiste...
La nouvelle éponyme, quant à elle, installe un parfum irréel qui va aussi perdurer tout au long du recueil: alors que ce sont surtout les oiseaux qui viennent mystérieusement mourir sur ce bout de plage péruvien, que vient faire ici cette brochette de personnages étranges et curieusement vêtus? Sont-ce... de drôles d'oiseaux?
Deux contes de Noël se côtoient même dans "Les oiseaux vont mourir au Pérou". Si l'un est désespérément tragique (fatale solitude, dans "Le mur (simple conte de Noël")), l'autre revisite les figures imposées du genre en mettant en scène un homme qui guide une jeune femme aveugle à travers la neige, dans l'Allemagne en ruine d'après-guerre. Il y a aussi des jouets, et aussi, malheureusement, un chauffeur de poids lourds aux intentions pas nettes. Le lecteur le comprend mieux que le personnage masculin de la nouvelle.
Enfin, c'est sur une ouverture vers l'avenir que "Les oiseaux vont mourir au Pérou", avec une nouvelle qui lorgne à la fois vers la science-fiction et vers la farce animalière: c'est "Gloire à nos illustres pionniers", un titre à la gloriole délibérément outrée: ça se passe dans l'Amérique triomphante, avec le Président en personne... Le génie malicieux de l'écrivain consiste ici à donner à voir peu à peu les mutations dramatiques mais curieusement cocasses qu'une attaque nucléaire a fait subir aux Américains.
L'auteur sait moduler son style en fonction du propos, parfois canaille lorsqu'il s'agit de parler de militaires ("Noblesse et grandeur"), parfois d'un ton juste un peu trop soutenu lorsque le propos porte sur un diplomate soudain féru de musique ("Le luth"). C'est toujours travaillé, en beauté et en justesse, pour le régal même du lecteur d'aujourd'hui.
Romain Gary, Les oiseaux vont mourir au Pérou, Paris, Folio, 1987/1re édition Paris, Gallimard, 1962.
Lu par Edouard, Naïk Feillet, Praline.
Oh un Gary que je ne connais pas ... et qui me donne très envie !
RépondreSupprimerBonjour Violette! Oui, c'est à découvrir - j'en avais lu d'autres il y a bien longtemps, et je ne l'attendais pas sur le genre de la nouvelle. Donc fonce! A noter que la nouvelle éponyme a aussi été adaptée en film par Romain Gary lui-même, avec Jean Seberg, sa femme, pour le premier rôle.
SupprimerBon dimanche à toi!
Je ne connaissais pas non plus. A dire vrai, si j'ai plusieurs livres de cet auteur dans ma bibliothèque, je ne l'ai pas encore lu !
RépondreSupprimerBonjour! C'est un recueil qui en vaut la peine, en effet! Je vous en souhaite une bonne découverte.
SupprimerJe ne connaissais pas ce recueil, merci!
RépondreSupprimerIl faudrait aussi que je relise Les racines du ciel...
(s) ta bd loi du cine, "squatter" chez dasola
Bonjour Tadloiducine!
SupprimerCette expérience du recueil de nouvelles devrait quant à moi m'inciter à lire d'autres romans et livres de cet auteur... Affaire à suivre!
Bonne fin de semaine à toi!