jeudi 10 août 2023

Aquilegia Nox et les aspects d'Adjaï le Protée

Aquilegia Nox – "Adjaï aux mille visages" porte bien son nom: c'est un personnage qui peut changer d'identité et d'aspect presque à sa guise, ce qu'on appelle un "Changeling" ou, parfois, un "Doppelgänger". Adjaï, c'est le personnage principal et le narrateur d'un diptyque de romans de fantasy signé Aquilegia Nox. Voici quelques impressions de lecture du premier tome, "Ceux qui changent". 

L'univers dépeint est celui du changement, en effet, au gré de ce que la roue de la fortune apporte aux uns et aux autres: le statut social est fragile, chacun doit se méfier l'un de l'autre dans un contexte où différentes espèces d'humains et d'humanoïdes surnaturels vivent en plus ou moins bonne harmonie. Adjaï le changeling est victime de quelques préjugés; lui-même aura affaire à des gobelins, mais aussi à des humains parfaitement ordinaires, avec leurs qualités et leurs défauts.

Quant au contexte, il évolue aussi au fil des conflits: Adjaï quitte un pays en guerre pour trouver sa voie, ce qui permet au lecteur de découvrir un monde aux allures médiévales, dominé par les guildes, où l'on hésite entre le système de mesures métrique (les "kils", ces bons vieux kilomètres) et les mesures à l'ancienne (il est question de tout aussi bonnes vieilles "lieues", p. 143). C'est un monde peu technologique si l'on excepte quelques allusions aux machines à vapeur. Une nuance steampunk? À peine: cela paraît lointain et n'a guère d'impact sur l'intrigue.

L'intrigue a un côté gamifié, emprunté aux codes des jeux de rôles ou d'aventure qu'on peut vivre sur son ordinateur, façon King's Quest (un aveu de ma part: j'ai plutôt joué à Leisure Suit Larry, sur le même principe mais avec un personnage très différent...). On y pense par exemple lorsqu'Adjaï s'introduit dans une demeure pour y trouver refuge et qu'il en ressort avec quelques objets qui pourront lui servir plus tard. On y pense aussi lorsque ce même personnage échafaude des tactiques plus complexes, impliquant des rencontres risquées où il faut faire preuve de ruse pour récupérer un objet précis. Cela dit, Adjaï est un personnage clairement plus travaillé qu'un bonhomme en pixels, et c'est tant mieux pour le lecteur.

Avec Adjaï, en effet, "Changeling" n'est pas un vain mot: ce personnage change à volonté, y compris de sexe, et ne se connaît pas d'identité de référence. Tout au plus peut-on lui reconnaître une certaine constance morale: il adopte quelques principes lorsque c'est son tour de diriger une guilde de brigands (la confiance par exemple, une denrée rare et pas toujours bien comprise!) et reste fidèle à son fils malgré les vicissitudes – un fils qui le reconnaît toujours, peu importe qu'Adjaï se présente à lui sous une forme féminine ou masculine. La rédaction suit, la grammaire est fluide: lorsqu'Adjaï est femme, l'auteure écrit son histoire au féminin, et passe au masculin lorsqu'Adjaï est homme. Ses noms eux-mêmes changent, et sont souvent inspirés de la Lune. 

Au fil des pages d'un roman qui visite des temps anciens, flous et rêvés, l'auteure fait passer quelques messages qui résonnent avec l'actualité de ce début de vingt et unième siècle. Un peu de féminisme? On pense à ce restaurateur indélicat qui refuse d'engager une femme qui a enfanté, qu'il considère comme une "pondeuse", ou à la sorcière Razelane, qui manie les simples avec virtuosité et sera la nourrice de l'enfant d'Adjaï. La question des camps où l'on loge tant bien que mal des réfugiés aujourd'hui apparaît lorsqu'il est question de stationner en deux endroits les rescapés d'une certaine épidémie – ce n'est pas le covid-19, au vu de la date de parution du roman.

L'écriture de "Ceux qui changent" aurait mérité de pousser davantage encore la gouaille qu'elle ose par moments, afin de conférer vraiment une voix à son narrateur. Elle est cependant agréable et accrocheuse, et porte un roman riche en péripéties dans un univers construit de façon cohérente. Adjaï lui-même mène sa barque, se raconte comme on raconte ses états d'âme et ses vieux souvenirs, entre indéniables succès et défaites cuisantes dont il convient de se relever. Ainsi, pour le plaisir de son lectorat, "Adjaï aux mille visages" s'ouvre sur un premier tome où la roue de la fortune tourne, impitoyable, pour toutes et tous. Enfin, le tome 2 donnera, gageons-le, des réponses à la question d'un bien encombrant et douloureux tatouage...

Aquilegia Nox, Ceux qui changent, Neuchâtel, PVH Editions, 2020.

Le site de PVH Editions.

Lu par Gabrielle Viszs, L'Etrange Librarium.

4 commentaires:

  1. Merci pour votre chronique, c'est un plaisir à lire. : )
    Le tome 2 (suite directe) est à paraître printemps 2024. Le volume "Ceux qui viennent" est un recueil de nouvelles intermédiaire qui permet de creuser l'univers.
    Belle suite à vous!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour et merci d'être passée par ici! J'ai eu du plaisir à lire "Ceux qui changent", merci pour les heures de lecture! Je note qu'il y a donc une suite à venir, et aussi un recueil de nouvelles, que je découvrirai volontiers à l'occasion!
      Bon dimanche à vous!

      Supprimer
  2. Bonjour,
    juste un petit mot pour vous dire que la suite est parue. Le recueil de nouvelles "Ceux qui viennent", mais également la suite directe "Ceux qui cherchent" sont dispos en librairie (vous pouvez également demander des services de presse à l'éditeur).
    Belle journée à vous! ^_^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Aquilegia, et merci pour cette précieuse information concernant de nouvelles publications de votre main! Je m'en vais suivre cela de près. Je vous souhaite beaucoup de succès! Bonne journée et bonne semaine à vous aussi!

      Supprimer

Allez-y, lâchez-vous!