Stéphanie Manitta – "On est faits pour pas s'entendre/On est faits pour pas se quitter", chantait le poète Henri Debluë dans son chœur "Ronde des Pissenlits", tirée de la Fête des Vignerons 1977. Ce distique s'applique parfaitement au quartette d'amis qui porte "Les Inséparables", premier roman de Stéphanie Manitta. Deux gars, deux filles, quatre caractères: dans un roman à la fois ample et passionnant, l'écrivaine en dissèque la dynamique à la fois chaotique et évidente. Ce qui lui permet, incidemment, de dessiner le portrait d'une jeunesse qui recherche sa place dans la société d'aujourd'hui.
Ils ont tous la vingtaine, en effet, les quatre personnages principaux du roman "Les Inséparables". On découvre ainsi Abigaëlle, celle qui travaille dans un grand magasin et finit par révéler des tendances borderline, et Emilie, qui pleure souvent. Côté hommes, il y a Quentin, cet apprenti avocat qui veut sauver tout le monde et surtout les filles de la bande. Et bien sûr Sébastien, le polytoxicomane, un personnage qui va occuper toute la place dans "Les Inséparables", débordant les autres.
Vivant, c'est son addiction qui prend le dessus, faisant de lui un personnage presque excessivement dominant. Et mort, dans des circonstances marquées par le secret, il continue d'être là, positionné comme une sorte d'ange gardien au travers de lettres qui prolongent sa voix de vivant – une trouvaille astucieuse de l'auteure.
Introspectif par moments, concentré sur les âmes de ses personnages plus que sur les décors d'une Genève évoquée par courtes allusions, "Les Inséparables" se développe comme un roman destiné à de jeunes adultes. L'auteure recourt aussi aux ressources offertes par le feel-good, entre autres lorsqu'il s'agit de marquer le propos par des pensées positives, énoncées entre autres par Watanabe-San, le libraire japonais qui emploie occasionnellement Emilie. Il y aura aussi quelques couleurs de romance, tant il est vrai que les quatre personnages principaux de ce roman sont aussi deux fois deux couples. Qu'un Sébastien vous manque, et l'ensemble devient boiteux...
"Les Inséparables" favorise l'empathie du lecteur avec les personnages en optant pour une rédaction polyphonique, chacun des quatre protagonistes s'exprimant plus ou moins à tour de rôle. En donnant occasionnellement la parole à certains personnages secondaires, la romancière marque l'idée que même la plus soudée des bandes d'amis n'est pas une île. On entendra donc les parents de tel personnage, un amant de passage qui suscitera le doute dans le cœur d'Emilie, et même un artiste amoureux qui finira par prendre pas mal de place, dans la vie d'un personnage comme dans les pages du livre.
Ce choix de la polyphonie, pensée comme une succession de confessions, astreint la romancière à analyser en détail les ressentis et le vécu, la psychologie en bref, des personnages sur lesquels le point de vue romanesque se focalise. Et force est de constater qu'il n'y a pas de fausse note, malgré une intrigue complexe qui prend tout son temps pour s'exposer puis se nouer: le lecteur y vit entre autres la difficile réappropriation des corps des jeunes femmes après un accident de la route qui ne les a pas laissées indemnes, les phases du deuil d'un ami lourd mais cher, les relations avec les parents et les soignants en psychologie. Copieux programme, pleinement maîtrisé! Peu à peu, les êtres retrouveront leur route parce que la vie continue.
Et les inséparables, alors? L'écrivaine fait référence à ces psittacidés vivement colorés qui ne supportent pas d'être séparés de leur partenaire. L'image concrète est certes fugace, puisqu'elle prend la forme, rapidement évoquée, d'une peinture dans le nouveau logement d'un des personnages. Mais les liens tissés entre les protagonistes apparaissent si complexes, confus mais indéfectibles, lourds de leurs vérités et de leurs mensonges, de leurs ombres et de leurs lumières, de leurs querelles et de leurs réconciliations, qu'il est devenu impossible de les dissocier. A la vie de leur donner un nouvel élan – et tel est le message majeur des "Inséparables".
Stéphanie Manitta, Les Inséparables, Noréaz, Kadaline, 2022.
Le site de Stéphanie Manitta, celui des éditions Kadaline.
Lu par Catherine Rolland, Dévoreuse de livres, Pippin.
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