Collectif – Pour leur centième anniversaire, les éditions Plaisir de lire, basées à Lausanne, ont organisé un concours de nouvelles. Le thème était tout trouvé: "Plaisir de lire". Il en est résulté un recueil éponyme, paru dans la collection Hors-d'œuvre de la maison. Seize écrivains sélectionnés, novices ou expérimentés, y déclinent, d'une manière des plus variées, une certaine idée de ce vice impuni qu'est, disait, Valery Larbaud, la lecture.
Attribut du lecteur par excellence, le livre occupe une place prépondérante dans ce recueil. Le lecteur se souviendra en particulier de ce personnage de "Maître liseur" imaginé par Cornélia de Preux, lecteur boulimique qui finira par s'assimiler à son délice livresque: à grands renforts d'accumulations, l'auteure souligne tout ce qui se rattache aux livres, à leur matérialité comme aux imaginaires qu'ils véhiculent. Et pourquoi ne pas donner carrément la parole au livre, principal intéressé? C'est ce que fait Patricia Dom-Grillet dans l'amusant, voire sensuel, "Et si les livres pouvaient parler...".
C'est entre présent et avenir que s'installe "PDL" de Nicolas Comte, la nouvelle qui ouvre le recueil. Une intelligence artificielle pourra-t-elle faire mieux que les éditeurs actuels, voire les écrivains qui leur sont le plus souvent liés? Le livre peut aussi créer un lien entre deux êtres, par exemple une donneuse de sang et une jeune leucémique – c'est ce lien qu'explore Marilou Rytz dans "A celle qui lit, là-bas", qui va jusqu'à faire un clin d'œil à la maison d'édition elle-même: le livre dont il est question est "Marine et Lila" d'Abigaïl Seran, paru chez... Plaisir de lire.
Des clins d'œil à l'éditeur, il y en a d'autres, le plus appuyé étant sans doute celui de "Le passage de la buse" de Matteo Salvadore, qui rend hommage à "Passage du Poète" et à Charles-Ferdinand Ramuz, l'un des auteurs emblématiques de l'éditeur. En situant une bonne partie de son intrigue dans les vignes, c'est au raisin, stylisé dans le logo de la maison d'édition, que l'auteur fait référence dans un texte au goût moderne et rythmé où la lecture passe aussi, minimale pour le coup, par les réseaux sociaux.
La lecture peut être un havre consolateur dans des situations dramatiques, et deux auteurs ont trouvé le cadre de leur récit dans le monde terrible de la Première guerre mondiale. Traversé par "Les Croix de bois" de Roland Dorgelès, "Effet miroir" d'Yves Paudex narre avec un style habile et poétique le destin d'une gueule cassée. Et le bonheur de la lecture prend la forme de lettres entre un Poilu et sa compagne dans "L'encre du front" de Florence Marville. Lettre? Un motif qui apparaît également, porteur de destins interrompus, dans "Poste restante" de Maud Hagelberg. Quant à l'évasion, à la fois physique et livresque, elle constitue le socle narratif de "Evasion littéraire" de Sylvie Kipfer.
Les liens avec l'enfance sont également présents chez certains auteurs. On pense aux rituels du coucher décrits dans un texte en forme de confession, autobiographique peut-être, signée Benjamin Jichlinski: "Les mots d'une enfance". L'enfance resurgit dans le destin du personnage principal de "Entre les pages" de Sonya Pfister, fondée sur le motif du secret de famille refoulé. Et enfin, elle a le dernier mot du recueil lorsque le personnage principal du touchant "Le rêvasseur" de Bryan Verdesi, un jeune homme, se plonge dans une édition du "Le Petit Prince" qu'un aîné lui a donnée.
Les lecteurs peuvent sembler de drôles d'oiseaux, et rapprocher une écrivaine et des ornithologues est un risque. "Se rire de l'archer", de Fabienne Morales, joue de ce motif dans un texte qui, dans sa dernière partie, rassemble un chouette plumet d'évocations littéraires classiques sous l'égide de Charles Baudelaire et de son "Albatros". Ces drôles d'oiseaux que sont les lecteurs aiment leur confort, ce que rappelle Eloïse Vallat dans ce qui est davantage une réflexion aux airs de manifeste qu'une nouvelle: "L'art délicat de la lecture". Et lorsqu'ils traversent l'Atlantique, ils peuvent être tentés de confronter littérature française et littérature américaine, comme dans "Heureux qui comme Ulysse" de Michel Pellaton.
Et le mieux, c'est que la lecture, on y prend goût, on s'y laisse prendre alors que, comme dans "Interligne" d'Alex Sadeghi, rien ne nous y prédispose. Sur 144 pages, c'est donc la lecture dans tous ses états actuels, dite sur les tons les plus divers, que les auteurs choisis livrent à des personnes avide de bonnes pages qui ne manqueront pas de résonner avec leurs propres habitudes de lectrices ou de lecteurs.
Collectif, Plaisir de lire, Lausanne, Plaisir de lire, 2023.
Le site des éditions Plaisir de lire.
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