Sergueï Dovlatov – Sergueï Dovlatov fait partie de ces écrivains russes exilés que le lectorat occidental a découverts après la chute du Mur de Berlin. Expatrié aux Etats-Unis mais resté russophone dans ses écrits et dans son âme, cet auteur et journaliste décédé avant l'âge à New York (1941-1990) a laissé en héritage, entre autres, un petit livre exquis intitulé "La Valise".
Une valise, l'auteur le suggère dès le début, c'est le réceptacle d'une vie lorsqu'il s'agit, pour un ressortissant de l'URSS, de quitter son pays: le bagage maximal est de trois valises, en effet. De manière concise, le narrateur, qui n'est autre que l'auteur lui-même, se demande dans un premier temps comment faire tenir sa vie dans trois valises.
Puis, faisant le tri dans son logis comme dans sa vie, il constate qu'une seule suffira, de qualité médiocre, mal ficelée. Et encore: ce n'est pas tout de suite qu'il l'ouvrira, une fois qu'il aura refait sa vie à New York. Belle illustration du détachement face aux choses matérielles! Et qui plus est, en ramenant sans arrêt son propos à cette valise, l'auteur réussit à capter l'intérêt du lecteur vers ce bagage dérisoire, a priori inutile. Intérêt justifié: par la grâce de l'écrivain, le bagage superfétatoire, relégué dans un placard pendant de longues années, devient indispensable. En effet, en ouvrant sa valise, c'est la malle aux souvenirs à raconter que l'écrivain ouvre.
Après cette intro chargée de sens, l'auteur aménage son livre à la manière d'un recueil de nouvelles drôles et tendres, chacune rattachée à l'un des vêtements qui ont trouvé place dans la fameuse valise lorsque l'auteur a quitté Leningrad. Là, le lecteur avide d'histoires drôles et décalées va s'amuser, qu'il ait ou non connu le monde communiste dans sa chair. Il sera donc entre autres question de marché noir à partir d'un trafic de chaussettes en crêpe vertes venues de Finlande, ou d'un costume "convenable" que la rédaction qui emploie Dovlatov consent à lui offrir comme tenue de travail: en effet, le camarade Sergueï Dovlatov, en qualité de journaliste, doit faire bonne figure lorsqu'il va sur le terrain.
L'humour de situation est omniprésent et fait revivre les temps un peu fous, parfois même absurdes, du communisme à l'époque de l'URSS, sur une période qui va des années 1960 à 1980. L'auteur brocarde avec le sourire les coulisses alcoolisées de la création d'une sculpture du scientifique Mikhaïl Lomonossov destinée à une station de métro (avec en prime une leçon de logistique appliquée au métro de Leningrad, creusé très profond) ou la vérité des mères de familles nombreuses, mais peu désireuses que ça s'ébruite. Il sera même question d'un temps au goulag, où l'on finit par se demander qui est qui est fou, qui est coupable et qui est gardien. Autant d'anecdotes ou de tranches de vie magnifiées par l'art de conteur de l'écrivain.
Constamment suspect d'indiscipline en URSS, Sergueï Dovlatov n'a guère été publié comme écrivain dans son pays, et c'est aux Etats-Unis que ses œuvres ont enfin commencé à paraître. Ce n'est que justice si les éditeurs d'Europe le publient aujourd'hui. La présente chronique fait référence à une nouvelle traduction du russe signée Jacques Michaut-Paternò, réussie et accrocheuse à un ou deux détails près – qu'est-ce qu'un "flow-master" (p. 21)? Ne serait-ce pas un style-feutre (фломастер)? Cette version est enrichie d'une interview de l'auteur, parue en 1988 et évoquant le regard de l'écrivain émigré, et d'une chronologie. Ces deux éléments sont transmis au public francophone par le chercheur et traducteur Boris Siemaszko.
Sergueï Dovlatov, La valise, Genève, La Baconnière, 2021, traduction par Jacques Michaut-Paternò, documentation par Boris Siemaszko.
Le site des éditions La Baconnière.
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