David Foenkinos – En voilà un roman où le vrai et le faux s'entremêlent avec brio! Cela, dans un domaine qui flatte tous les lecteurs: celui de l'édition. "Le Mystère Henri Pick", roman de David Foenkinos, est une réflexion sur le vrai et le faux. Tout se fonde sur une intrigue aux allures de roman "feel-good" (il faut être à la mode). Vu de loin, ça a l'air sage, et on peut avoir l'impression que l'adversité est bien molle. Mais qu'on se méfie...
Tout part sur une idée suggérée par l'écrivain américain Richard Brautigan: celle de la bibliothèque des livres refusés par les éditeurs – c'était dans "L'Avortement". Et voilà qu'un bibliothécaire breton sans éclat, Jean-Pierre Gourvec, décide de lui donner corps. Certains projets romanesques avortent; pourquoi ne pas leur donner un havre où aboutir? Ce qui n'était pas prévu, c'est que deux amants, Frédéric l'écrivain publié mais incompris (donc inexistant – un paradoxe que l'auteur illustre avec justesse) et Delphine l'éditrice ambitieuse stipendiée par Grasset, allaient y mettre les pieds.
Alors oui: on retrouve dans "Le mystère Henri Pick" la musique de David Foenkinos, constituée d'un sens certain de la formule apparemment surprenante mais toujours juste, au service d'une description exacte des relations humaines. Quelques gadgets viennent au secours de tout cela, par exemple le gimmick du thé au caramel offert à ses invités par la veuve d'Henri Pick.
La veuve... l'auteur s'astreint à donner à chacun de ses personnages un profil approfondi: tout le monde est attachant, et le lecteur trouve toutes les gens mis en scène crédibles. Suffisamment pour développer, tour à tour, leur propre vérité. Il y a les gens du village de Crozon, bien sûr, mais il y a aussi les critiques parisiens, à commencer par Jean-Michel Rouche, critique déchu, motivé par la nécessité d'animer le show de l'édition parisienne. Oups, justement: on l'aime quand il érafle la voiture de sa copine... autant que quand il fait son job de journaliste avide de savoir.
Ce show de l'édition, l'écrivain le donne à voir d'une manière qui sent le vécu: mine de rien, il démystifie la fameuse "ligne éditoriale" opposée en guise de motif de refus aux écrivains qui ont proposé des manuscrits: en fait, elle n'existe pas. Et çà et là, il éclaire doucement certains aspects pas toujours élégants du monde éditorial, présenté comme éminemment parisien: tel journal qui donne le ton depuis le boulevard Haussmann, ou alors la liste d'invités des soirées, à géométrie variable en fonction des gens en vogue. De ce point de vue, Jean-Michel Touche fait figure de thermomètre.
On peut donc lire "Le mystère Henri Pick" comme une satire du petit monde éditorial parisien – une vision un brin cynique: il semble s'approprier tout ce qui peut marcher, y compris un manuscrit qui passe par là, peu importe le génie réel. Ce cynisme est cependant tempéré par la citation plus ou moins empreinte de sympathie de certains auteurs d'aujourd'hui, par exemple Laurent Binet. Il est permis de se dire, avec un sourire, que l'auteur cite ses amis...
Voyons les choses plus loin encore, car là est l'essentiel: ce roman est celui du "roman du roman", illustration brillante du storytelling qui peut entourer la publication de certains livres qui doivent leur succès davantage à leur histoire qu'à leur qualité intrinsèque. Stratégiquement, cette manière de "roman dans le roman" peut sauver une publication programmée en pleine saison creuse. En l'espèce, tout cela peut même chambouler l'existence de plus d'un personnage – et dans ""Le Mystère Henri Pick", ça compte.
Enfin, "La Mystère Henri Pick" se positionne comme un roman qui montre au lecteur que si les vérités alternatives, également dites "fake news" depuis peu, font une mauvaise vérité, elles sont idéales pour développer de bons romans propres à faire naître des films fabuleux dans l'esprit des lecteurs. Alors, "Le mystère Henri Pick" est-il le fruit d'un complot? Est-ce vraiment un pizzaiolo breton qui a trempé sa plume dans l'encrier pour pondre un roman génial et inattendu? Le créateur de la pizza Staline a-t-il su décrire les dernières heures de Pouchkine? Tel le maître d'un jeu de bonneteau, l'écrivain propose plusieurs vérités, laissant le lecteur préférer la sienne, sachant qu'il aura toujours plus ou moins vrai ou faux.
En attendant, la bibliothèque des refusés de Crozon aura toujours des clients...
David Foenkinos, Le Mystère Henri Pick, Paris, Gallimard, 2016.
Le site des éditions Gallimard.
Lu par Abracadabooks, Acciolivres, Alain Schmoll, Alfie, Alice, Annie, Autour d'un livre, Bénédicte, Benedict Mitchell, Brigitte Clavel-Delsol, Bulles de Flo, Cara Vitto, Carobookine, Christophe Maris, Clarabel, Clémentine, Clothilde Leblond, Coin des licornes, Cornelia, David Frossard, Dingue de livres, Elsy et Caramel, Entre les pages, Folavril, Fondant Grignote, Francis Richard, Géraldine, Gérard Sophie, Graine de livre, Jaysher, Je lis la nuit, Joëlle, Julien, Laurie, Legere imaginare Peregrinare Blog, Lily, LireLire, L'Irrégulière, Louise, Lunatic, Maeve, Manue Marchetti, Mimi, Mouton, Myriam Thibault, Nathalie, Nicole Grundlinger, Onlalu, Papillon, Petite Balabloka, Petite Plume, Petites bulles de papier, Philli, Ritournelle, Romanthé, Saiwhisper, Sheldzio, Stella Noverraz, Une femme et des livres, Wodka.
Je me souviens de cette idée de Brautigan. L'auteur donne-t'il ici la recette de la pizza Staline ?!
RépondreSupprimerOui, c'est avec des piments, si je me souviens bien.
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