samedi 18 août 2018

Akron, ou l'ennui entre deux continents

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Jérôme Plattner – C'est l'histoire d'un gars qui se souvient: sur le ton des souvenirs, en dépit de deux ou trois fausses notes liées à la focalisation, tel est le propos du premier roman de Jérôme Plattner, "Akron". Il y est question d'un homme ordinaire surnommé Gerry. Natif d'une petite ville américaine où le cinéaste Jim Jarmusch a aussi vu le jour, il décide de faire sa vie dans la vieille Europe, entre Paris et Berlin. Gerry, c'est le gars qui ne sait pas répondre à la question "Que veux-tu faire de ta vie?". Et malheureusement, le lecteur est embarqué dans cette absence de réponse. C'est qu'il n'est pas facile de raconter de façon extraordinaire l'histoire d'un personnage ordinaire... et "Akron", tout en s'offrant le fil rouge magnifique du cinéma, n'y parvient pas.


Gerry aborde la vie avec un certain pragmatisme, et là, on sent le Ricain proche de ses affaires. Berlin et Paris ne seront pas montrées de façon touristique, ou si peu: l'essentiel est de voir ce qu'il s'y passe, et de les montrer comme des lieux de travail: publicité dans un cinéma parisien, tournages de propagande à Berlin-Est. Dès lors, l'écrivain développe ce qui se passe dans les studios légendaires de Babelsberg, introduisant entre autres le personnage de Wiebke, concurrente potentielle de la femme du narrateur, Zoé. On peut regretter, en tant que lecteur, qu'il n'y ait pas un supplément de pression sur les personnages, d'autant plus que la narration s'inscrit dans les temps difficiles de l'Allemagne de l'Est: cela aurait apporté un supplément de tension dramatique.

De façon convenue, "Akron" se construit comme un roman chronologique, sans surprises, sans travail sur le rythme, relatant en somme la biographie platement linéaire du personnage de Gerry. Une biographie que l'auteur ne parvient pas à rendre intéressante, et c'est bien dommage: avec un personnage tendu entre cinéma et littérature, qui fait le grand écart entre l'Europe cultureuse et l'Amérique industrieuse, il y avait largement de quoi faire. "Akron" est par ailleurs desservi par un style scolaire et par une construction sans surprise, finalement ennuyeuse.

Et puis, il y a ces choses qui paraissent signifiantes, qui sont même mises en exergue, alors qu'elles ne disent rien du tout: il est permis de se demander pourquoi l'auteur a souligné le fait que Gerry est né le jour du Jeudi noir de 1929, alors que cela ne joue aucun rôle significatif plus loin dans ce roman. De même, le fait que le père du narrateur, ouvrier américain monté en graine, ait été un raciste convaincu (c'est l'époque qui veut ça – et au moins, on avait là un personnage sincère...) constituait un boulevard pour un récit. Ce boulevard, l'auteur l'indique, mais l'emprunte peu.

Cela, sans oublier les villes de Paris et de Berlin – sans parler d'Akron, ville de l'Ohio forte de près de 200 000 habitants quand même. Celles-ci sont toujours regardées de façon finalement superficielle, pas même touristique. On ne voit pas grand-chose de ces villes, ni des lieux décrits: tout se passe comme si l'auteur s'empressait de se réfugier dans l'abstrait des lieux investis. Résultat: le lecteur, qui aurait voulu vivre la pression de la Stasi ou la joie de vivre nocturne de Paris voit que ces cités sont interchangeables. On passera sur le fait que dans "Akron", les bordels parisiens semblent avoir survécu à la loi Marthe Richard de 1946...

Au fil des pages, on pense à Frédéric Moreau, personnage clé de "L'Education sentimentale". Cela, à cette différence près que Gustave Flaubert a su rendre son personnage captivant, si médiocre qu'il ait été. "Akron", pour sa part, sur la base d'un personnage du même genre, ne réussit qu'à ennuyer. Ce n'est pas que le personnage de Gerry n'ait pas eu les atouts en main; on déteste d'autant plus ce personnage que justement, en fin de roman, il se retrouve "pomme avec le bour", inapte à réaliser le moindre de ses rêves alors que toutes les chances étaient de son côté. Or, personne ne s'attache aux perdants, surtout s'ils ne prennent pas la peine, avec leurs armes, de mener au moins une belle intrigue...

Jérôme Plattner, Akron, Sainte-Croix, Mon Village, 2018.

Le site des éditions Mon Village.

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