lundi 27 août 2018

Une vie comme un siècle dans le val d'Anniviers

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Hélène Zufferey – Les éditions Favre ont eu récemment la riche idée de rééditer "Simon l'Anniviard", ouvrage à la croisée du roman et du témoignage, écrit par la Valaisanne Hélène Zufferey et inspiré par la vie de son père Simon. L'éditeur n'hésite pas à présenter ce livre comme un classique; c'est en tout cas une création forte qui mérite d'être redécouverte.


Forte en ce qu'elle donne à voir, sans juger ou si peu, ce qu'a pu être la vie dans une vallée de ce canton suisse toujours un peu à part qu'est le Valais. C'est rude et âpre, on s'accroche aux traditions, on a la tête près du bonnet, la religion rythme l'existence tout comme ces "remuages", transhumances entre villages pour offrir au bétail ce qui lui va le mieux – à la manière des poyas et désalpes fribourgeoises, pense-t-on parfois. La langue se fait sobre, sans artifices, empreinte en somme de la simplicité des mœurs décrites: on va à l'essentiel.

Cela dit, l'écrivaine use de quelques artifices qui enrichissent cette narration: les changements de points de vue. Il y a la narration, bien sûr, par Simon, dont l'auteure recrée le point de vue. Il y a aussi une approche plus distante, suggérée par des italiques: le récit assume le fait qu'il se fonde sur une enquête ethnographique. Et il y a le regard d'une personne tierce, celle qui fait parler Simon, surtout dans la deuxième partie du livre. Une partie où tout s'accélère, de la mobilisation de 1914-1918 jusqu'au grand âge de Simon, devenu entrepreneur florissant et enfin honoré par sa commune.

Les lieux, en effet, sont décrits dans leurs ambiances et leurs couleurs, entre Saint-Luc, Niouc et d'autres villages où l'on cultive l'entre-soi, entre vignes et alpages, à l'ombre de l'hôtel Bella Tola – qui existe encore aujourd'hui, et a contribué au cahier d'illustrations de "Simon l'Anniviard" en ouvrant ses archives iconographiques. Les mœurs sont dessinées avec exactitude, avec leurs forces et ce qu'elles peuvent aussi avoir d'archaïque aux yeux du lecteur du début du vingt et unième siècle – mine de rien, l'auteure dessine le statut de la femme dans la région, un statut certes accepté, mais à mille lieues de toute émancipation, et qui a ses raideurs: qu'on pense à l'opprobre jeté sur toute femme enfantant avant le mariage! Les usages sont d'ailleurs résumés, et c'est intéressant de le démontrer ainsi, de façon aussi synthétique, par les proverbes que lâche telle aïeule, sentencieuse, dans ses répliques.

Si l'écrivaine n'a pas sa pareille pour dire les bonheurs simples et les malheurs d'une vie rude à l'ancienne, proche de la nature (qu'on pense à la description de l'appétissante soupe au caillou concoctée par deux chevriers), elle brille aussi lorsqu'elle dessine l'arrivée de la modernité dans le val d'Anniviers, entre autres avec l'installation progressive de l'électricité. Fascination! Elle sait se mettre dans la peau des enfants émerveillés par la lumière qui jaillit d'une ampoule. L'arrivée des éléments modernes dans le val d'Anniviers fait écho au choix de l'entrepreneur Simon d'être toujours à la pointe du progrès, ce qui lui vaut de jolis contrats de construction. Mais si on le voit engagé aux côtés des plus pauvres, dont il fut dans son enfance, on devine sans peine qu'il a les idées bien arrêtées par rapport à certaines choses: l'auteure ne cède pas à la complaisance en dressant le portrait littéraire de son père.

Entre école et travaux des champs, c'est la première partie, la plus longue aussi, qui offre au lecteur l'occasion de s'attacher à Simon l'Anniviard, ce bonhomme fasciné par les chiffres dès qu'il a vu écrite sa date d'anniversaire pleine de 1. Entre peurs et bonheurs, son existence saura rappeler à plus d'un lecteur des moments de sa propre enfance, de sa propre jeunesse, ou alors celle que ses aïeux lui ont rapportée. Sobre et simple, la langue de l'auteure s'offre un soupçon de couleur locale authentique en utilisant, sans en abuser, des mots usuels dans le val d'Anniviers. Résultat: le lecteur apprécie ce récit d'une vie qui sonne vrai. Et quelques poèmes, placés en fin de livre, achèvent de camper l'ambiance. Témoignage, roman, étude: "Simon l'Anniviard", c'est un peu tout cela, servi de façon généreuse pour dire que le val d'Anniviers, c'est tout un univers.

Hélène Zufferey, Simon l'Anniviard, Lausanne, Favre, 2018.

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