mardi 7 août 2018

Mystères flamboyants à l'indienne, autour d'un prix Nobel de médecine

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Amitav Ghosh – C'est sans doute la saison des moustiques pour plus d'un d'entre vous, amies et amis lecteurs. Une bonne raison de revenir au roman "Le Chromosome de Calcutta", thriller étrange, voire halluciné, signé de l'écrivain indien Amitav Ghosh. Sa force? Le propos explore les zones d'ombre de la vie de Ronald Ross, prix Nobel de médecine en 1902 pour ses recherches sur le paludisme, véhiculé par ces étranges bébêtes assoiffées de sang qui zonzonnent la nuit.

Il est aisé, en effet, de développer, à partir des doutes que soulève une recherche menée au bout du monde par un chercheur peu versé dans son domaine, une belle théorie du complot, une chouette vérité alternative – de celles qui font les bons romans. Mais n'anticipons pas: si celle-ci voit le jour, c'est parce qu'un terne employé d'une terne entreprise, Antar, repense malgré lui à l'un de ses anciens collègues, l'exubérant Murugan, à l'occasion d'un terne travail de saisie.

Ce personnage, Murugan, finit par occuper une bonne partie de l'espace du roman. Il est permis de s'agacer face à sa personnalité volontiers intrusive, que ce soit face à de jeunes filles travaillant dans la presse indienne ou face à Antar, qui ne demande pas mieux que de poursuivre sa vie tranquille, et d'arriver à la retraite sans encombre. Si le propos paraît sérieux, cela dit, Murugan est certainement le personnage qui lui donne ses plus éclatantes couleurs. L'auteur lui confère une faconde de tous les instants et un ton péremptoire, empreint de vigueur: dans un orchestre, il serait la trompette solo, jouée fortissimo.

C'est lui qui porte une vérité alternative, peut-être, au sujet de Ronald Ross, qu'on a un peu oublié aujourd'hui. Oubli profitable, puisqu'il ouvre la porte à toutes les histoires possibles. Et justement, Ronald Ross a la sienne, qui suggère que le prix Nobel de médecine de 1902 n'a pas tout à fait mérité sa distinction. Du coup, Murugan s'est donné pour mission de faire la lumière sur la question du paludisme en Inde. D'où l'hypothèse d'un chromosome de Calcutta, née au cours d'une vie d'étude hallucinée où le colon, face à des indigènes relégués au rang de servants alors qu'ils en savent plus que lui sur la réalité du terrain, n'est pas forcément le plus malin.

Murugan, c'est aussi Morgan, prononcé à l'anglaise. Il est donc permis de voir en ce personnage de chercheur amateur passionné un trait d'union entre l'Inde et l'Angleterre, ancienne puissance coloniale. Ses mauvaises manières, soulignées à plus d'une occasion, n'ont rien de celles d'un lord anglais. Intéressé cependant à un ressortissant de la prude Albion, il est permis de voir en lui un Janus, ayant un pied dans une réalité et un autre dans l'autre. Quitte à ce qu'il en ait un troisième dans le domaine fantastique: "Le Chromosome de Calcutta", thriller atypique, va jusque-là.

On s'interroge parfois sur le caractère historique de plus d'une scène du roman, oui, et l'écrivain surfe avec brio sur les zones grises de l'histoire. Cela dit, d'autres épisodes, bien imaginés, plongent dans la réalité la plus crue de la vie indienne, quitte à ce que cela apparaisse comme grotesque, comique ou agaçant au lecteur – ou même les trois à la fois. On pense par exemple à la comédie qui tourne autour du poisson que la journaliste Urmila doit acheter pour nourrir un invité et sa famille: sa mère fait pression sur elle, alors qu'elle a un agenda bien rempli, et que tout le monde dans la famille pourrait faire un saut chez le poissonnier à sa place. Bel exemple d'un pénible chantage affectif en famille, soigneusement retracé!

Entre la réalité étonnante et parfois sordide de la vie en Inde et l'éther d'un imaginaire qui va chercher loin, en passant par l'intrusion d'un mystérieux écrivain célèbre qui a aussi son mot à dire, tout se tient dans "Le Chromosome de Calcutta", même si les personnages apparaissent comme parfaitement disparates. Les ambiances changent, du plus terne au plus flamboyant, pour offrir au lecteur un thriller sinueux qui, plus que par son rythme trépidant (quoique...), se distingue avant tout par ses ambiances et ses contrastes.

Amitav Ghosh, Le Chromosome de Calcutta, Paris, Points, 2007. Première édition: Seuil, 1998. Traduction de l'anglais par Christiane Besse.

Le site des éditions du Seuil, celui de Points.

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