vendredi 10 août 2018

Quand la physique quantique et les médias américains rencontrent la chick lit

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Sarah Mlynowski – Voilà un roman de chick lit un brin particulier: "Moi & Moi, vice-versa" commence par la demande en mariage. Le romantisme de cet instant est tout relatif: cela se passe au Texas, dans la benne d'une camionnette. Force est de relever que ce premier moment du roman est bien sage et sirupeux, et ne manque pas de sagement mentionner les noms des amoureux, Gabby et Cam, dès la première phrase. On relève que ce premier chapitre pose une question importante en la matière: ne pas dire non, est-ce dire oui – et vice versa? Mais foin d'états d'âme: par la suite, l'écrivaine canadienne sait se rattraper. Et ça pétille à fond!


"Moi & Moi, vice-versa" est un roman qui se fonde sur la difficulté qu'il peut y avoir à faire des choix dans la vie, ressentie par tout un chacun un jour ou l'autre. En l'espèce, l'enjeu oscille entre l'amour et la carrière, sachant que pour Gabby, les deux sont un rêve: Cam est l'homme de sa vie, mais il a les deux pieds au Texas et ne veut pas d'un amour à distance, et le job des rêves de Gabby, glamour et bien payé, se trouve plutôt du côté de New York. Et là, l'écrivaine introduit une astuce bien originale: dans un esprit fantastique, elle dessine la double vie de Gabby, passant de son existence de productrice TV à New York à ses préparatifs de mariage au Texas. Et pour donner à cette astuce un petit côté fantastique, l'écrivaine va jusqu'à décrire les malaises de Gabby lorsqu'elle passe d'une vie à l'autre. 

On s'y attend: l'écrivaine décrit dans "Moi & Moi, vice-versa" les inconvénients de ces deux vies parallèles. Du côté du métier de productrice, ceux-ci relèvent des difficultés inhérentes à tout emploi d'un certain niveau – et aussi du harcèlement sexuel, c'est un peu attendu – et sont modérés par les succès engrangés par Gabby, qui a du flair pour trouver ce dont on va parler dans les médias; on retrouve dans "Moi & Moi, vice versa" l'univers des médias que l'écrivaine a déjà dessiné dans "Télémania". 

Le lecteur rigole beaucoup plus lorsqu'il côtoie la Gabby contrainte de préparer son mariage, en composant avec sa famille (très absente) et sa belle-famille (très présente): cela, d'autant plus que Cam est, euh, très famille. C'est le lieu des répliques qui claquent, et aussi des pressions insupportables! Et mine de rien, tout cela est narré dans une dynamique de compétition entre Gabby et sa belle-mère ("Alice, deux. Moi, toujours zéro.", p. 154). Fort justement, les pages consacrées aux préparatifs du mariage en grande pompe suggèrent qu'en somme, le mariage n'est pas l'affaire, ni la fête des mariés. Ceux-ci se contenteraient en effet d'un consentement prononcé dans l'intimité, les pieds dans le sable, sur une plage aux îles Fidji.

Le lecteur croit aux personnages mis en scène par l'écrivaine: ils sont classiques, mais solidement construits, sans doute dans le but précis de susciter quelques éclats dont le lectorat va se délecter. Si Gabby paraît hésitante, elle a quand même son caractère, de même que Cam, avocat bien installé, dominateur presque sans le faire exprès, du simple fait de sa situation. Les personnages secondaires eux-mêmes ont aussi une personnalité prononcée. On pense à la colocataire fantasque de Gabby à New York, ou à Brad, le magnifique bout de viande masculin ("Miam.", songe Gabby lorsqu'elle le voit la première fois), mis sur la touche en raison d'une propension excessive à picoler. 

Autour de Gabby, les hommes tourbillonnent donc, et chacun a ses atouts et ses défauts. Cela dit, le lecteur n'est pas dupe: il comprend dès l'incipit quel couple sera constitué en fin de récit. Dès lors, l'agrément de la lecture de "Moi & Moi, vice-versa" réside dans la manière dont les deux cœurs, celui de Gabby et celui de Gab, vont se retrouver après un fort moment de gêne. Cela, dans un contexte parfaitement américain où certains détails peuvent surprendre le lecteur européen: d'une part, il faut penser à l'emprunt pour la maison avant même d'avoir échangé les consentements, ce qui paraît aller vite en besogne. Et puis franchement, qui boirait un Lafite-Rothschild avec son foie gras? Plutôt un bon sauternes, mais enfin, à chacun ses goûts!

Travail ou amour, faut-il vraiment choisir? La réponse, optimiste, est en fin de livre... L'idée de dessiner des vies parallèles est astucieux; le lecteur peut penser à des choses comme le film "Sliding Doors" de Peter Howitt. Mais de préférence, il se laissera embarquer dans le mouvement vivace de "Moi & Moi, vice-versa". C'est un roman de chick lit astucieusement construit, porté par de beaux personnages, où l'auteure sait aussi faire montre de finesse dans le contexte d'une narration rapide et dynamique où les amours côtoient, l'air de rien, la physique quantique et les univers parallèles. Il faut ce qu'il faut, hein!

Sarah Mlynowski, Moi & Moi, vice-versa, Paris, Harlequin, 2007. Traduction par Nadine Ginape-Mercier.

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