mardi 31 décembre 2024

"Post mortem": lettre à un père nazi

Carlos Bauverd – Il y a comme ça des livres qu'on devrait garder pour des saisons plus propices que celle des fêtes de fin d'année. A l'heure de la trêve des confiseurs, en effet, comment recevoir le torrent de colère, d'incompréhension et de haine qu'est "Post mortem" de Carlos Bauverd? 

Ancien haut fonctionnaire international actif au CICR puis au BIT, l'auteur adresse avec "Post mortem" une lettre à son père récemment défunt. Particularité? Ce père faisait partie des quelques Suisses résolument et activement engagés en faveur du nazisme, et n'a jamais regretté cette position. Il s'agit de Jean Bauverd, on peut le dire: sans jamais le nommer, l'auteur donne suffisamment d'indices pour que le lecteur curieux puisse retrouver sa trace.

L'écriture est ferme, forcément. Sincère, elle flamboie, faisant parfois penser à un Louis-Ferdinand Céline dont l'auteur est cependant fort éloigné idéologiquement. L'auteur n'oublie rien, règle ses comptes page après page, rappelant les bons moments bien sûr, mais aussi la difficulté du dialogue face à un père aux convictions arrêtées maintenues par des rencontres entre vaincus nostalgiques dans l'Espagne franquiste. L'enfance est innocente, mais elle n'a qu'un temps... Ici plane, entre autres, l'ombre de Léon Degrelle, membre d'une certaine internationale qui n'a rien de communiste.

Tout cela aurait été un magnifique témoignage sur les rapports difficiles que peut avoir un fils avec un père frappé du sceau de l'ignominie, longtemps en cavale à bord d'une Volkswagen Coccinelle grise de la première génération. Mais voilà: il est dommage, pour le lecteur d'aujourd'hui en tout cas, que l'auteur se soit à plus d'une reprise répandu en invectives à l'encontre d'un peu tout ce qui bouge. 

Il y a les anathèmes légitimes mais ressassés à l'encontre du nazisme sous ses différentes formes (fascisme, franquisme): oui, c'est mal, mais ça, on le savait déjà. L'auteur rejette aussi, sans nuances, cet islam qui pactisa avec Hitler – et Jean Bauverd n'y est pas pour rien. Il y a aussi une critique récurrente et en règle de la Suisse trop propre sur elle, certes tendance au moment où l'auteur prend la plume (l'écriture de "Post mortem" commence en 2002, peu après le décès de Jean Bauverd), mais qui relève là aussi, aujourd'hui, d'un Switzerland-bashing aux poncifs recuits. Cela, sans oublier des jugements de valeur gratuits, par exemple à l'encontre du curling, "probablement le jeu le plus stupide de la création" (p. 23). Les sportifs apprécieront.

Si l'on en croit les nombreux extraits de presse mentionnés au terme de l'ouvrage (l'éditeur chargé de la réédition dans "L'Aire Bleue" avait-il des craintes, cherchait-il des arguments d'autorité?), "Post mortem" a été encensé par la critique, en Suisse mais aussi dans les titres de presse français les plus prescripteurs. 

Aujourd'hui, en tant que lecteur, je m'interroge: suis-je passé à côté du livre? Ou n'aurait-il pas mieux valu réaliser un tirage réduit de ce règlement de comptes à l'attention de la famille et de quelques bibliothèques choisies, à l'attention des historiens? Et ma réponse tend vers l'affirmative. Parce qu'il n'y a pas que le style dans les livres à ambition littéraire et que toute colère ne mérite pas publicité.

Carlos Bauverd, Post mortem, Paris, Phébus, 2003/Lausanne, L'Aire Bleue, 2009. 

Le site des éditions Phébus, celui de L'Aire Bleue.


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