jeudi 19 décembre 2024

Art et crimes: des remous dans les canaux de la Sérénissime

Adrien Goetz – L'historienne de l'art Pénélope est le personnage d'enquêteur récurrent de l'écrivain Adrien Goetz, qui a écrit plusieurs romans policiers situés dans le monde des arts, avec des intrigues érudites qui mettent en scène ses hauts lieux. Comme son titre l'indique, "Intrigue à Venise" emmène son lectorat voguer sur les canaux de la Sérénissime et se perdre dans les méandres de cette cité touristique bien connue. Enfin... bien connue, vraiment?

Tout commence avec la mort mystérieuse d'un écrivain connu, membre de l'Académie française. Certes, elle est survenue à Rome; mais tout d'un coup, tous les écrivains français ayant écrit sur Venise se sentent menacés. Et pour amener son enquêtrice à Venise qu'elle ne connaît pas, l'auteur trouve un prétexte amusant: elle doit prendre part à un colloque sur les gondoles. Il n'y aura guère de déconstruction de l'imaginaire lié à ce véhicule dans "Intrigue à Venise", Pénélope préférant faire faux bond dès que possible. Ses pérégrinations dans une Venise qu'elle découvre offrent au lecteur un regard personnel, bien senti, sur la cité.

L'auteur fait évoluer autour d'elle tout un essaim de personnages hauts en couleur. Il y a bien sûr le volubile Wandrille, son plus ou moins amant, journaliste fouineur qui mène aussi l'enquête à sa manière. Du côté du monde de la presse, on mentionne encore la figure de Rosa, journaliste italienne flamboyante. Enfin, quelques écrivains inquiets viennent faire bon poids, et l'auteur s'en sert pour esquisser l'ambiance "panier de crabes" qu'il peut y avoir dans un milieu de romanciers avides de toujours, toujours plus d'estime.

Qu'est-ce qui fait courir tout ce petit monde? Très vite, se dessine la piste d'un tableau méconnu de Rembrandt, avec un cheval paraît-il, que personne n'a jamais vu mais dont tout le monde sait qu'il existe. En dessinant par touches ce tableau qu'il a cependant inventé de toutes pièces, l'auteur donne à voir au lecteur qu'une œuvre d'art ancienne a toujours un parcours, une histoire. Celle-ci va, comme de bien entendu, croiser celle des fascistes. Elle sera travestie aussi, cette toile méconnue, ce qui donne à l'auteur l'occasion d'éclairer la profession de restaurateur d'art.

Quant à Venise, tentant d'en recréer l'âme et y parvenant de manière crédible (même si chacun a "sa" Venise), l'auteur en fait un portrait chatoyant et contrasté. Sans en celer les beautés, il ne manque pas d'en relever ses côtés fatigants (Vivaldi partout...) ou déplaisants, tel le surtourisme, évoqué çà et là avec un certain humour, ou le "faux vieux" inhérent à la cité, lorsqu'un de ses personnages se demande s'il y a, à force de réfections (Venise, c'est comme le tableau de Rembrandt: ça se restaure...), encore une brique vraiment historique dans les bâtiments de la Venise d'aujourd'hui. Enfin, pour parler d'histoire, il convoque la figure de Napoléon Bonaparte et, surtout, de son contemporain, le diplomate Vivant Denon – apprécié des Vénitiens, contrairement à l'Empereur, qui a mis fin à l'indépendance séculaire de Venise au grand dam de ses habitants.

"Intrigue à Venise" est un roman divertissant et bien construit, passionnant même, mais pas seulement: en trois centaines de pages, il déborde d'érudition rendue accessible par son auteur, qui ne manque jamais une occasion de faire passer une anecdote, vraie ou fausse mais toujours en mode "se non è vero, è ben trovato", charriée par son intrigue. Pas de fausses nouvelles cependant: en conteur malicieux mais intègre, le romancier ménage tout un épilogue pour démêler autant que possible le vrai du faux à l'attention du lecteur.

Adrien Goetz, Intrigue à Venise, Paris, Grasset, 2012/Le Livre de Poche, 2013.

Le site des éditions Grasset, celui du Livre de Poche.

Lu également par BelcikowskiCathJackFrancis RichardFroggy Delight, Le livre d'après.

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