Marc-Uwe Kling – Quality Land, c'est un pays presque comme l'Allemagne, familier au lecteur occidental. C'est là que se situe l'intrigue à la fois grave et délirante de "Quality Land", roman d'anticipation de l'écrivain et homme de scène allemand Marc-Uwe Kling. Tout commence avec la mise en place d'une poignée de personnages divers, humains ou machines plus ou moins androïdes. Dont Peter Chômeur, artisan minable auquel il arrivera toutes sortes d'aventures, générées entre autres par le vibromasseur dauphin rose qu'il a reçu contre espèces et dont il ne veut pas.
Le monde de Quality Land est régi de manière totalitaire par les algorithmes, qui rythment le quotidien de tout le monde dans un souci assumé d'inégalité sociale, de mercantilisme et de rapprochements entre personnes qui se ressemblent. Et c'est un univers total que l'écrivain décrit, à partir de scènes bien visualisées: culture, vie sociale, commerce, économie et politique, tout y passe.
L'auteur décrit ainsi de manière cocasse, volontiers absurde, les travers et les impasses d'un tel système: un algorithme définit ainsi qui sera votre conjoint ou votre conjointe (finis les efforts pour séduire!), jugera votre état de santé, vous donnera le droit d'être tutoyé ou vouvoyé par des drones de livraison intrusifs en fonction d'un système de crédit social fondé sur cent points: à moins de 10 points, un citoyen devient un "inutile" plutôt méprisable. Enfin, côté culture, l'écrivain s'amuse avec un running gag bizarre autour de Jennifer Aniston (pourquoi elle?).
Enfin, côté paiement, l'auteur a l'idée géniale d'utiliser le baiser comme mode d'identification pour tout paiement. En montrant ses personnages embrasser leurs tablettes, il transforme ainsi un acte de tendresse des plus intimes et des plus aimables en un banal médium mercantile. Quant à l'argent cash, il fait l'objet d'un mépris affiché, un peu comme en Suède: "[Les personnes de qualité] te regarderont de travers, toi et tes lambeaux de papier sale", avance une voix du roman. De quoi ébahir le lectorat! Derrière la rigolade, l'avenir n'est peut-être pas si radieux que ça...
Faisant référence tantôt à Isaac Asimov, tantôt à "Robocop" (le héros des androïdes), "Quality Land" est indéniablement drôle. Mais il s'avère aussi d'autant plus glaçant que les dérives des algorithmes et du contrôle social décrites au fil des pages sont déjà enclenchées dans notre monde, et qu'il est certain qu'un start-upper cynique y travaille déjà quelque part dans le monde à l'une des idées "novatrices" développées par le romancier.
Critique derrière son indéniable vis comica, "Quality Land" dessine tout un monde. Faussement légère, faisant usage des meilleures ressources de l'humour, cette représentation est rehaussée par la transcription épisodique d'articles de presse bourrés de publicités (notamment pour les "grassusselles", qui se mangent: du gras, du sucre et du sel) ou d'éléments de communication institutionnelle. Telle est l'astuce habile que l'auteur a trouvée, au-delà de ses personnages, pour donner des informations de fond sur ce monde, qui pourrait être celui de demain si l'on se laisse manger par les ordinateurs et par les outrances de la marchandisation.
Marc-Uwe Kling, Quality Land, Arles, Actes Sud, 2021, traduit de l'allemand par Juliette Aubert-Affholder.
Le site de Marc-Uwe Kling, le blog de Juliette Aubert-Affholder, le site de Quality Land, le site des éditions Actes Sud.
Lu par Blog des Arts, Chris de Savoie, Chut Maman lit!, Dobby, Elwyn, Gromovar, Le Nocher des Livres, Nicolas, Raphaël Gaudin, Thierry Spencer, Ute Schröder, Vinushka.
Repéré depuis un moment, tu confirmes que ça devrait me plaire. Hâte de découvrir ça ! Il me semble qu'il y a un tome 2 aussi.
RépondreSupprimerSalut et merci de ton commentaire!
SupprimerEn effet, il y a une suite, sortie tout dernièrement. Ce premier volume, déjà, en vaut effectivement la peine: il est amusant mais fait aussi réfléchir à des situations et tendances qui sont déjà d'actualité.
Bonne fin de semaine à toi!
Il est dans mes envies lecture d'autant que derrière l'humour, le roman fait froid dans le dos par cet avenir qu'il semble dessiner et vers lequel en partie, on se tourne déjà...
RépondreSupprimerBonjour Audrey! En effet, il y a un côté inquiétant derrière ce roman, d'autant plus que certaines des hypothèses qu'il évoque sont déjà sur les rails... ou ont pu être évoquées par plaisanterie avant que quelqu'un ne s'avise de les prendre au sérieux.
SupprimerBonne semaine et bonnes lectures à toi, merci d'être passée!