vendredi 16 juin 2023

"Rogue Trader", des milliards et de l'ambiance pour les amateurs de thrillers

Laurent Jayr – Max Harker, alias Mad Max, c'est le trader fou, capable de mettre en péril l'équilibre d'une banque londonienne pour réaliser un effet de levier maximal. C'est aussi l'inconditionnel d'un luxe hédoniste et intransigeant à base de cigares et de belles bagnoles. Enfin, c'est le personnage principal de "Rogue Trader", deuxième thriller financier de l'écrivain Laurent Jayr. S'il se lit sans problème de manière autonome, ce nouvel opus emprunte quelques éléments à "La faille Ethics", premier roman de l'écrivain, dont il est dès lors parent.

On retrouve dans "Rogue Trader" le regard d'insider de l'auteur, qui puise dans son expérience professionnelle les éléments qui vont constituer une intrigue réaliste. Ce réalisme passe bien sûr par l'utilisation du jargon du monde des traders, où certaines paires de monnaies ont par exemple des surnoms dès lors qu'il s'agit d'évoquer leur taux de change – on pense à "Barney", un terme qui désigne familièrement la paire dollar-rouble. Un lexique et des notes de bas de page permettent au lecteur de s'y retrouver.

Le réalisme passe aussi, dans "Rogue Trader", par le dessin soigné et pertinent des ambiances. On ne parle pas d'un match de foot comme d'un entretien difficile chez son supérieur hiérarchique! L'auteur l'a bien compris. Alors que monde de la finance peut paraître invariablement aride au lecteur profane, l'écrivain donne avec succès de la chair aux contextes qu'il décrit.

Cela se voit dès les premières pages, dopées à la testostérone: tel qu'il le montre, le monde des traders, essentiellement masculin, est marqué par la compétition et par les remarques plus ou moins voilées sur les rares femmes qui hantent ce milieu – on pense à Emily, dont la hiérarchie espionne la page Facebook en douce, surtout dans la rubrique des photos privées prises à la plage et innocemment partagées.

Dans d'autres contextes, l'écrivain trouve aussi le ton juste et chausse parfaitement les lunettes de son personnage principal: un match de foot à l'Emirates Stadium sera ainsi considéré de façon double, à la fois désabusée et intéressée, quitte à ce que cet intérêt soit fondé sur des poncifs qui, énoncés sans intelligence, tombent à plat. Et les pages que l'auteur réserve au couturier Cifonelli, tout en posant un monde de courtiers riches mais sans culture fût-elle sartoriale, sont particulièrement gourmandes et posent un archétype fouillé du chic au masculin, made in Savile Row.

Enfin, il y a la description du quartier londonien de Ponders End où Max Harker s'établit pour suivre une trader énigmatique et apparemment imbattable. Observateur jusqu'à forcer un peu le trait, l'auteur n'épargne rien au lecteur pour ce qui est de décrire le côté indigent des lieux. Et c'est là que l'auteur indique que derrière une manière de travailler cynique, Max Harker, si désireux qu'il soit de réintégrer le gratin des traders par tous les moyens après une manœuvre qui l'a mis hors jeu, a peut-être aussi un cœur.

Au-delà du destin individuel de Max Harker, "Rogue Trader" met en scène une poignée de personnages impitoyablement barattés par la roue de la fortune: certains personnages secondaires sont tombés dans l'alcoolisme ou la misère, d'autres montent très haut avant de choir faute d'avoir les soutiens qu'il faut au bon moment. L'auteur renvoie ainsi un tableau sans concession du monde de la banque d'affaires, et démonte mine de rien les velléités d'éthique mises en route dans un établissement bancaire précis.

Laurent Jayr, Rogue Trader, Paris, Kubik Editions, 2023.

Le site de Laurent Jayr.


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