Francis Mizio – Les métiers disparus ou en voie de disparition suscitent toujours l'intérêt des gens d'aujourd'hui, et sont souvent le sujet de reportages fascinants. L'écrivain Francis Mizio a identifié le filon et a décidé, en virtuose de la rigolade, de l'exploiter à sa manière. Il en est résulté quatorze chroniques, publiées d'abord en ligne sur le site "Terri(s)toires", aujourd'hui apparemment disparu, puis en un recueil intitulé "Des métiers carrément à l'Ouest".
Avant d'entrer dans le vif du sujet, relevons que ce petit recueil est une rareté: tiré à 300 exemplaires, il a été offert par l'auteur aux personnes qui l'ont soutenu lors d'une souscription organisée en 2014. Ceux qui n'ont pas leur exemplaire peuvent toujours tenter leur chance auprès de l'auteur...
Alors, qu'en est-il des textes de ce recueil? Partant le plus souvent d'expressions françaises courantes, l'auteur les applique à la réalité du grand Ouest français: il sera question de Bretagne, de Normandie et de Vendée, y compris les imaginaires qui vont avec. Ainsi, le très médiéval "ajouteur de grain de sel" va connaître sa destinée du côté de Guérande, où le partage des marais salants par héritage n'a semble-t-il pas toujours été facile, certains terrains hérités pouvant avoir littéralement la taille d'un mouchoir de poche.
L'écrivain traverse les siècles avec aisance. Sa connaissance des temps passés paraît d'autant plus sûre qu'elle semble documentée et constitue un charivari qui met son lectorat au défi (et l'auteur ne manque pas de le lancer, ce défi!) de dépêtrer le vrai du faux. Les lecteurs qui ont le sens du calembour débusqueront ainsi facilement la "mouette échandon" qui, selon "Eradiqueur de mouette", aurait envahi la Bretagne à la manière d'une espèce invasive venue d'Amérique au début du vingtième siècle. Mais y a-t-il eu, comme le suggère "Ramoneurs et sucreurs de fraises", un Américain pour exploiter, juste après la Seconde guerre mondiale, des fraisières de taille industrielle à Plougastel-Daoulas? Pas de chance pour ce précurseur de Uber Eats (le principe: on "ramène ta fraise" à domicile!): il s'est planté sur le branding...
De façon à la fois curieuse et malgré tout drolatique, les quatorze récits de "Des métiers carrément à l'Ouest" sont autant d'histoires de tentatives qui ont échoué. L'auteur en relève dès lors le panache comme la déchéance, avec un regard amusé teinté d'une bonne dose d'outrance. Faut-il vraiment qu'une seule femme soit "Noueuse de coins de mouchoirs" alors que l'industrie en appelle davantage? Et qu'en va-t-il de la mode de l'"Ermite ornemental", au-delà de l'attrait de la nouveauté? A chaque texte, c'est un ratage sublime que l'auteur relate. Et pourtant, se dit-on, à chaque fois, ça failli marcher...
Enfin, le lecteur le plus attentif ne manquera pas de relever l'actualité de la couverture du livre, signée Lenaïg Kerveadou, qui représente le "Faiseur de bruit": n'est-ce pas le précurseur des casserolades qui ont marqué le second trimestre 2023 de la politique française? Dans le genre actuel, où l'heure est au tri des déchets, la nouvelle "Metteur à la jaille sélectif" vaut aussi le coup d'œil. Partant généralement sur des expressions familières, les anecdotes cocasses de "Des métiers carrément à l'Ouest" touchent à l'actualité à partir d'une base historique (vraiment) très librement revisitée. Le lecteur qui s'y essaie ne risque qu'une seule chose: passer un moment de bonne humeur réfléchie entre histoire, langue française (ou bretonne, ou normande, ou tout ce qu'on veut, parce que dans ce livre, les gens causent mine de rien) et fiction.
Francis Mizio, Des métiers carrément à l'Ouest, Pink Flamingo's Unnecessary Books Publishing, 2014. Couverture par Lenaïg Kerveadou.
Le site de Francis Mizio. Pour tenter votre chance...
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