Alain Sanders – Avec Le Hussard, alias Julien Ardant, l'écrivain Francis Bergeron a créé il y a quelques années une sorte de Poulpe à l'envers, héros d'une série de romans rédigée tour à tour par plusieurs écrivains. Différence: alors que le Poulpe est un libertaire marqué à gauche qui traque les nazis d'aujourd'hui, le Hussard est un réac assumé, librairie et justicier, qui trace ses cibles à sa manière. Fiancé de manière plutôt lâche avec Héloïse, il paraît surtout marié avec ses livres et ouvert à toute aventure. C'est ainsi que le lecteur peut le considérer, en effet, après avoir lu "Le Hussard fonce dans le tas" d'Alain Sanders.
Force est de relever avant tout que le titre tient toutes ses promesses: le lecteur amateur de castagne sera servi. Le Hussard n'est pas bagarreur, mais il sait parfaitement se défendre, ce qui donne quelques jolies scènes, notamment dans la boîte de nuit où l'intrigue débute et où le personnage principal, également narrateur, a rendez-vous avec pas moins de deux femmes, Josiane et Christine. Débute dès lors un jeu de jonglage cocasse, entre travail (le côté Josiane, qui se sent menacée) et plaisir (le versant Christine, qui veut s'amuser).
Menée par un libraire borderline accompagné d'un comparse nommé Léopold von Luge, l'enquête s'avère audacieuse: elle mène jusqu'à un kebab de banlieue façon "territoires perdus de la République" où l'on ne propose pas que des plats halal, et c'est au moment de l'épilogue que le lecteur comprendra tout: le réseau criminel que Le Hussard a démantelé mélange joyeusement trafic de migrants, commerce de drogue et autres joyeusetés, le tout sous la bannière d'un islam militant tendance Daesh.
Si court qu'il soit, le roman "Le Hussard fonce dans le tas" s'avère riche d'un solide substrat culturel. Le lecteur qui connaît Paris, ou l'aime simplement, va se retrouver chez lui grâce aux descriptions et anecdotes que l'auteur distille: pour une bonne part, l'intrigue plonge dans le deuxième arrondissement, que tout touriste a hanté, entre le boulevard des Capucines et le boulevard des Italiens. Plus loin vers Montparnasse, à la rue Delambre, le bar américain "La Carlingue" est une invention de l'auteur, mais elle apparaît crédible au vu des restaurants et débits de boissons qui s'y trouvent en vrai.
Quant aux références littéraires, elles abondent au fil des pages. Le nom de la librairie que tient Lucien Ardant, "Les Décombres", renvoie immédiatement au plus sulfureux des livres de Lucien Rebatet. Mais les amateurs de classiques plus consensuels recevront leur lot de clins d'œil aussi, de Kipling à Flaubert et Balzac en passant par George Sand, qui donne son nom à un hôtel l'espace de ce roman. Quant au surnom du Hussard lui-même, il émane bien entendu du mouvement littéraire du même nom, attaché au style, qu'ont porté naguère Paul Morand, Roger Nimier et Jacques Chardonne, entre autres.
Quelques mots sur les méchants de l'histoire, enfin: du point de vue romanesque, il est légitime de lancer un justicier aux trousses de criminels fédérés par l'islam rigoriste des banlieues française. Espérons cependant que ces adversaires varient d'un roman à l'autre: faute de quoi, la série du Hussard tomberait dans le même travers que celle du Poulpe, où le coupable est nécessairement un personnage marqué à droite qui apparaît presque au début du roman – c'est d'un prévisible...
Verdict? "Le Hussard fonce dans le tas" se révèle un roman aventureux d'inspiration populaire, à l'ancienne, où les belles bagarres côtoient les belles femmes. Du Hussard, le lecteur garde l'image d'un personnage séduisant à la San-Antonio, en plus discret et moins enclin à la vantardise gauloise. Et de la narration, une manière d'écriture décomplexée, gouailleuse et familière, qui ne recule pas devant les jeux de mots et les punchlines bien envoyées. En voilà assez pour donner envie d'en savoir plus sur le personnage récurrent imaginé pour la série!
Alain Sanders, Le Hussard fonce dans le tas, Toulouse, Auda Isarn, 2018.
Le site des éditions Auda Isarn.
Pour l'anecdote: le restaurant Le Gramont, situé sur le boulevard des Italiens à Paris par l'écrivain qui l'orthographie avec deux "m", existe bel et bien. L'auteur y a-t-il ses habitudes, ou est-ce le cas du Hussard? Ou est-ce le pendant du "Pied de cochon à la Sainte-Scolasse" cher au Poulpe? En tout cas, santé et bon appétit!
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