lundi 29 mai 2023

"L'Empire de la surveillance": tous suspects?

Ignacio Ramonet – Paru en 2015, "L'Empire de la surveillance" dessine le portrait inquiétant du monde de surveillance généralisée qui se met en place depuis quelques lustres, entre autres grâce aux progrès du numérique. Le journaliste Ignacio Ramonet y souligne à plus d'une reprise que ce mouvement ne provient pas de dictatures, comme les écrivains ont pu l'annoncer (on pense à "1984" de George Orwell, entre autres, et on accuse assez facilement la Chine), mais bien d'une bonne vieille démocratie: les Etats-Unis. Ceux-ci seront du reste une constante dans ce bref ouvrage, à la fois clair et concis, richement documenté à partir d'études et de rapports, mais aussi d'œuvres de fiction présentées comme annonciatrices ou mentionnées pour illustrer tel propos.

Synthétique, la préface annonce le programme du livre: celui de la description d'une surveillance généralisée, pratiquée tant par l'Etat que par le secteur privé, avec, on le comprend plus tard, un effacement des frontières entre les deux versants. L'auteur l'annonce: il y aura aussi la question de l'effacement entre vie privée et vie publique, ainsi que l'idée que dans un contexte de flicage total, tout le monde est considéré comme suspect – observant indifféremment les uns et les autres, les caméras de surveillance ne sont dès lors qu'un exemple des mouchards d'aujourd'hui.

L'auteur fait remonter la tentation du contrôle total aux origines de la Guerre froide. Il consacre ainsi un chapitre aux différents programmes que le renseignement américain a mis en œuvre, aux Etats-Unis mais aussi ailleurs dans le monde. Le prétexte réside dans la tension qui existe constamment, du point de vue de l'Etat, entre la possibilité d'une surveillance généralisée, la préservation de la vie privée et le besoin de sécurité. Et ce qui a débuté comme une activité de défense nationale finit par déborder sur le monde civil et créer une "guerre de quatrième génération", fondée sur le prétexte de la lutte contre le terrorisme. Les attentats du 11-Septembre auront joué un rôle clé dans cette évolution, et l'auteur analyse finement les tenants et les aboutissants du Patriot Act américain et de ses succédanés – sans oublier de dessiner les évolutions similaires du droit en France.

Tous suspects, alors? Sur la base d'exemples réels ou envisagés par les acteurs incriminés, l'auteur indique à quel point les citoyens sont tracés par les organismes de renseignement des Etats-Unis, y compris lorsqu'ils agissent hors du territoire américain, par exemple en utilisant tel ou tel moteur de recherche pour surfer sur Internet. Il relève aussi que les internautes eux-mêmes y consentent, livrant des données personnelles à de grandes entreprises américaines (les GAFAM) avec une certaine insouciance. Quant au dernier chapitre, il donne quelques pistes pour se prémunir quelque peu de cette dérive du contrôle.

"L'Empire de la surveillance" est complété par deux interviews, l'une avec Julian Assange, qui évoque son expérience de travail chez Google et les WikiLeaks, et Noam Chomsky, qui promène un regard critique sur la politique étrangère américaine, notamment envers l'Amérique du Sud. Rédigé dans un style agréable, cet ouvrage propose une analyse rigoureuse et dépassionnée d'une évolution qui s'est confirmée depuis: pensons à la gestion de la crise du covid-19, qui a imposé des outils de surveillance numériques (applis de traçage, notamment) et permis d'imposer, à la manière du Jules Romains de "Knock", l'idée que "tout homme bien portant est un malade qui s'ignore". Tous suspects, une fois de plus...

Ignacio Ramonet, L'Empire de la surveillance, Paris, Galilée, 2015. Suivi de deux entretiens avec Julian Assange et Noam Chomsky.

Le site des éditions Galilée.


4 commentaires:

  1. Ca fait froid dans le dos... sur le même thème, mais côté fiction, il y a les ouvrages d'Alain Damasio, qui "extrapole" un futur de l'ultra-traçage ma foi plutôt crédible...

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    1. Bonjour Ingannmic, merci pour ton commentaire! Je ne connais pas les ouvrages d'Alain Damasio, au-delà de quelques titres; cela pourrait être une découverte pour moi. Merci pour le conseil!
      Bonne semaine à toi!

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  2. Ignacio Ramonet est un assez répugnant stalinien, chantre ébloui du merveilleux Fidel Castro et, cela va évidemment ensemble, d'un anti-américanisme consternant.

    Didier Goux

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    1. Bonjour Didier, merci de votre message!
      C'est aussi le soutien historique à la taxe Tobin, ce qui a suffi à m'en tenir éloigné pendant pas mal d'années, depuis les années 1990. Là, j'ai tenté le coup, par intérêt et par ouverture d'esprit, et ai été plutôt agréablement surpris. Comme quoi...
      Bonne semaine à vous!

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