Françoise Cohen – "Des deux hémisphères", ce sont dix nouvelles à la fois diverses et tenues par quelques constantes. L'écrivaine y joue sur les deux tableaux de l'Argentine et de la France, précisément vus comme les deux hémisphères du recueil. Et elle adopte l'absence comme thème récurrent.
Si le rythme des dix nouvelles du recueil est plutôt lent, l'écriture varie avec aisance et justesse et n'hésite pas à interpeller le lecteur. Celui-ci apprécie ainsi l'introspection de "Déambulations parallèles", où les ambiances parisienne et argentine résonnent librement avec le ressenti et l'imaginaire du personnage principal, ou la polyphonie mise en place dans "O silent wood".
Ouvrant l'ouvrage, "Peau neuve" installe précisément le thème de l'absence, à travers ce père trop longtemps enfui de la vie familiale, et qui revient dans la vie de sa fille, devenue une chirurgienne célèbre grâce à une greffe de peau. Incidemment, le lecteur apprend que Valentin, le patient noir qui recevra la greffe, se demande s'il devra endosser une greffe de peau blanche...
Polyphonique également, "Square de l'Oiseau Lunaire" utilise comme décor une place méconnue de Paris, hantée par une sculpture de Joan Miró. Sentimentale, non exempte d'une certaine rouerie de la part du personnage masculin, elle laisse une porte ouverte aux deux solitudes qui s'y frottent: celles de Malena et de Raphaël.
Le rêve a aussi sa place dans "Des deux hémisphères". En témoigne bien sûr l'onirique nouvelle "Un samedi à Paris", dont le début a de quoi désarçonner à la façon de ces songes étranges que nous avons tous eus un jour ou l'autre. Ce rêve confine à l'imaginaire de tout un pays, celui décrit dans "Au pays de Casiment", lieu imaginaire où tout est "presque". Prenant pour prétexte une course de demi-fond qui n'aura jamais lieu, voilà un conte qui donne à réfléchir sur ce que chacune et chacun de nous a peut-être loupé, de peu, et pas forcément pour les bonnes raisons – voilà qui peut interpeller, amuser puis déranger mine de rien.
Quant à ce fameux thème de l'absence, il se manifeste encore par le choix d'éléments originaux autour des personnages. "Bella et moi" évoque ainsi l'absence d'un jumeau phagocyté par le personnage situé au cœur de la nouvelle. Sur un autre ton, la nouvelle "Un mercredi à Buenos Aires", peut-être la plus tendue dramatiquement du recueil, évoque la perte des bijoux de famille, forcée par l'irruption de malfrats avides de dollars.
La cohésion du recueil est assurée, en souplesse, par le thème de l'absence et par le grand écart entre la France et l'Argentine. De façon plus concrète, il l'est aussi par la récurrence de certains prénoms de personnages, certes sans cesse recréés: dès lors, le lecteur se sent autorisé à admettre la récurrence de quelques personnages, voire à considérer que l'un d'eux, Malena peut-être, est l'alter ego littéraire de l'écrivaine.
Françoise Cohen, Des deux hémisphères, Paris, L'Harmattan, 2023.
Le site des éditions L'Harmattan.
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