lundi 10 avril 2023

"Noaluen, la Véragre": un voyage merveilleux dans le temps avec Claude Maier

Claude Maier – "Noaluen, la Véragre" est le dernier roman de l'écrivain fribourgeois Claude Maier. Mêlant avec harmonie plusieurs genres littéraires, cet ouvrage s'avère aventureux et passionnant. Tout cela, simplement parce qu'un certain David a certes réussi à voyager dans le temps à bord d'un appareil parfaitement fonctionnel, mais a oublié les panneaux solaires qui lui permettraient de revenir à son époque d'origine...

La base relève donc de la science-fiction, qu'on aime également surnommer "le merveilleux scientifique". Mais faut-il nécessairement que ce merveilleux soit scientifique? Nenni. Dès lors, l'auteur envoie son personnage principal dans une Helvétie rêvée des années 60 avant Jésus-Christ, où certains personnages ont des pouvoirs magiques tels que la capacité de communiquer avec les animaux. C'est là qu'intervient le personnage de Noaluen, une adolescente de l'ethnie véragre, celle qui occupait alors l'actuel Valais. 

Rencontre, aventures: c'est tout un voyage que les deux personnages feront, réunis par un amour dont l'auteur souligne la force, lorgnant parfois vers les codes de la romance. Tout peut les rapprocher en effet, à commencer par un tatouage énigmatique dont le motif ponctue le roman à la manière d'un leitmotiv.

Le lecteur sera marqué par la capacité de l'auteur à dessiner des personnages attachants, à commencer par Noaluen, dont il dessine parfaitement l'évolution au fil des pages: sauvageonne peu désireuse de connaître les hommes, à moins d'en être un pour pouvoir guerroyer, elle se sentira devenir pleinement femme dès le moment où elle se retrouvera enceinte et heureuse. C'est comme si l'auteur avait voulu dessiner, avec ce personnage, le parcours d'une dysphorie de genre qui se résout d'elle-même, simplement grâce à la vie qui va.

Face à elle, David se démarque par son talent inné pour la mécanique: il en a fait son métier et ne manque pas d'idées astucieuses pour l'exercer. L'auteur le place sous la férule d'un inventeur original nommé Gédéon, qui fait jaser au village de Cressier, dans le canton suisse de Fribourg – celui de l'auteur, soit dit en passant.

Cressier? En effet, l'ancrage local de "Noaluen, la Véragre" est assumé, conférant à ce roman le parfum rare d'une science-fiction de terroir, dans laquelle les familiers du village reconnaîtront, à travers les personnages, des gens qui existent réellement – on pense à Pascal, le tenancier du café de la Gare. L'auteur relève par ailleurs le défi de rendre concrète la région de Cressier telle qu'elle a pu se présenter à l'époque romaine. L'une de ses méthodes est d'adopter le point de vue d'un David essayant de trouver ses marques dans un paysage moins bâti qu'aujourd'hui en l'imaginant avec ses constructions du vingt et unième siècle d'où il vient.

Enfin, pourquoi ne pas faire de Cressier une sorte de centre du monde? L'auteur imagine en fin de roman un cataclysme auquel seule une quarantaine de personnes vont survivre. Se retrouvant dans une oasis du Sahara, force est de constater que ceux du cru sont surreprésentés... Voilà qui change agréablement des sempiternels Etats-Unis sauveurs du monde!

Porté par la possibilité d'une transcendance partagée par les humains, au-delà des cloisons religieuses, symbolisée par une énigmatique Arche d'Alliance promesse d'un monde meilleur, "Noaluen, la Véragre" est un roman aventureux, informé également même s'il n'a pas l'ambition d'un réalisme historique à toute épreuve. Son écriture fluide accroche facilement ses lecteurs. Touche d'originalité, enfin: l'auteur introduit chacun de ses chapitres par un poème programmatique et incantatoire qui renforce la couleur merveilleuse du récit.

Claude Maier, Noaluen, la Véragre, Martigny, Editions Soleil Blanc, 2023.

Le site de Claude Maier.

5 commentaires:

  1. Un tout grand merci, Daniel, pour ton billet!
    Il me fait chaud au cœur.
    Tu as souligné ce qui me semble important.

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  2. Je ne connaissais pas mais le roman a l'air d'offrir des instants qui méritent d'être lus et des personnages que l'on a envie de suivre. Je lis peu de SF mais j'aime cette idée de science-fiction de terroir que je n'avais jamais rencontré.
    Par contre, je t'avoue qu'en tant que femme cette idée fait grincer des dents : "elle se sentira devenir pleinement femme dès le moment où elle se retrouvera enceinte et heureuse". Non, se sentir femme ne passe pas par la maternité...

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    1. Merci pour ton commentaire, Audrey! En effet, ça vaut la peine d'être lu, en raison du mélange harmonieux des genres et de personnages attachants.
      Quant à l'idée de "devenir pleinement femme", ça passe dans le contexte (Antiquité, avec injonction forte à devenir mère, contre laquelle le personnage se révolte au début du roman), mais sur le principe, je te rejoins: se sentir femme ne passe pas par là.
      Bonne semaine et bonnes lectures à toi!

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    2. Noaluen a désiré dès son enfance être un homme pour pouvoir combattre les Romains (à l'époque, il était impossible d'imaginer une femme enrôlée dans l'armée); c'est dans ce sens que j'ai écrit "devenir pleinement Femme",
      Merci pour le commentaire
      Claude Maier

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