Frédéric Bécourt – "Un vent les pousse" s'ouvre sur un chapitre d'exposition qui met en présence certaines des forces qui, tout au long du roman, vont marquer les relations entre personnages: Juliette et Gilles sont en instance de divorce, Chloé a cinq ans et elle a prononcé une phrase malheureuse, jugée raciste, à un copain de classe. S'ensuit une procédure administrative...
Dès lors, l'ensemble de ce roman va s'attacher à dessiner l'emballement médiatique, savamment entretenu par une certaine presse conservatrice française, autour de cette procédure, qui prévoit des tests psychologiques approfondis et une sensibilisation de la fillette, illico présumée foncièrement raciste, aux questions d'inclusion. La procédure est soumise à l'approbation parentale. Juliette accepte et signe, Gilles refuse.
Très tôt, l'auteur se place dans les chaussures de Gilles, écrivain bordelais sur le déclin, vite dépassé par les événements. Il dessine autour de lui, avec succès, un nœud de tensions: alors qu'il tient à sa fille comme à la prunelle de ses yeux, son refus de se soumettre à la procédure administrative l'expose à la suppression de tout droit de garde alternée. Mais, méfiant face à la procédure, il tient à rester fidèle à lui-même.
Vous avez dit "woke"? C'est ce que décrit l'écrivain, dans une certaine mesure, notamment en cernant le besoin constant de certains de chercher des juges extérieurs plutôt que de laver le linge sale en famille. De ce point de vue, on pense à l'étude que le philosophe Pierre Valentin a consacrée à "L'idéologie woke" pour Fondapol.
Conservateurs et administratifs
Quant aux milieux conservateurs, survivalistes, classés à l'extrême-droite, l'auteur excelle à en dessiner la duplicité derrière une apparente sincérité jouant sur l'argument sensible de la défense de la famille traditionnelle. Peu politisé, peu informé mais aux antipodes des valeurs d'un Zemmour, Gilles peut à juste raison se sentir soutenu par ces milieux comme une corde soutient le pendu. Mais il n'a guère d'autre recours...
S'il ne les caricature pas, c'est avec un certain recul que l'auteur dépeint ces milieux. Plus intéressant, il a le génie d'observer la manière dont les acteurs liés à la procédure administrative et disciplinaire appliquée à Chloé se positionnent. Tout se passe comme si celle-ci, en phase pilote, devait certes s'appliquer, mais pour de mauvaises raisons, invoquées tour à tour par les âmes grises du monde enseignant tel que l'auteur le décrit: ne pas faire de vagues, créer un exemple, complaire à la hiérarchie scolaire, voire se montrer zélé dans l'optique d'une possible visite du ministre.
Et les enfants dans tout ça?
L'auteur ne donne guère à voir Chloé dans cette description. Paradoxal? Non, juste: l'auteur souligne ainsi que dans "Un vent les pousse", tout se passe entre adultes pas très soucieux, en définitive, de l'intérêt des enfants – sans parler de Souleymane, l'enfant qui a encaissé l'affront. Le lecteur s'interroge dès lors: cette réplique malheureuse méritait-elle un tel remue-ménage, ou aurait-il mieux valu expliquer les choses en classe, loin d'une machine administrative et médiatique qui broie ses victimes sans régler quoi que ce soit?
C'est du père de Souleymane que viendront finalement les paroles de bon sens, alors que tout s'emballe et que Gilles, plus ou moins malgré lui, s'est radicalisé, allant jusqu'à kidnapper sa fille: "Mon fils, il va bien... Des fois, il fait des bêtises. Votre fille aussi, les autres aussi... Tous les enfants, c'est pareil, non? Cette histoire, maintenant, c'est n'importe quoi..." (p. 150-151). La réflexion considérée comme raciste de Chloé trouve elle-même une explication rationnelle, sur un fond de misère subie.
Un monde d'adultes emballés où, à part Gilles et Juliette, tout le monde a oublié les enfants: c'est ce que donne à découvrir "Un vent les pousse". Au fil d'une intrigue qui survient dans un avenir proche, l'auteur dévoile de manière implacable les rouages d'une machine qui, nourrie de bons sentiments (de ceux dont l'enfer est pavé, Gilles en saura quelque chose), finit par devenir folle.
Frédéric Bécourt, Un vent les pousse, Bruxelles, Accro Editions, 2023.
Le site d'Accro Editions.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Allez-y, lâchez-vous!