Gérald Tenenbaum – "Par la racine": voilà bien un titre porteur de plus d'un sens, et c'est celui du dernier roman de l'écrivain Gérald Tenenbaum. Dans la mesure où l'on mange les pissenlits par la racine, le lecteur comprend qu'il sera question de défunts. Mais s'il considère ces racines comme ancestrales et constitutives de chacune et chacun d'entre nous, le lecteur comprend que c'est vers un passé qui nourrit le présent que l'ouvrage va se tourner.
L'auteur met en scène Samuel Willar, qui gagne sa vie comme recueilleur de récits de vie. Celui-ci vient de perdre son père, Baruch, et un concours de circonstances, fondé sur des objets personnels et des contacts programmés, va le mettre sur la piste de Luce, une femme juive qui a des ambitions. Peu à peu, l'auteur dessine les liens qui rapprochent tous ces personnages. "Par la racine" se donne ainsi pour mission d'éclairer les zones d'ombre de plus d'une histoire familiale. Un exercice classique dans le monde du roman, que l'écrivain réalise avec succès et originalité.
Plonger dans une histoire familiale, c'est une odyssée. Et c'est bel et bien à la manière d'une odyssée, vue comme un long voyage riche en apprentissages, que l'auteur a conçu son roman. Toutes affaires cessantes, Luce et Samuel vont rouler sur les routes de France et de la côte ligure pour rencontrer des personnes susceptibles d'informer le projet de Luce, puis traverser la Méditerranée, jusqu'en Israël, dans un kibboutz où se trouvent les ultimes réponses. Et sans juger, à chaque étape, l'auteur regarde ses personnages réagir face à des éléments d'information pas toujours plaisants.
En observant Samuel, l'auteur explore une figure d'écrivain dont le mensonge est le métier: sa mission de recueilleur de récits de vie prévoit de transformer en un roman vendeur l'existence de ses clients. On le voit dès lors imaginer tel bout d'intrigue à partir d'une péripétie vécue. "Par la racine" fonctionne dès lors comme un roman où la vérité objective et la vérité romanesque, éventuellement mensongère, s'entremêlent pour recréer un récit original.
Quant aux racines, celles-ci sont bien sûr omniprésentes. Elles sont familiales, on l'a vu, et l'auteur leur ajoute une touche d'ambiguïté trouble en laissant entendre que Luce et Samuel, plus que complices dans leur quête, pourraient aussi avoir un lien de sang. Elles touchent par ailleurs à l'histoire des Juifs d'Europe, au travers de l'évocation des déportations, mais aussi du théâtre en yiddish, au travers d'une représentation théâtrale du "Dibbouk" de Shalom Anski, donnée à l'institut Rachi de Troyes – ce qui vaut au lecteur un joli moment de suspens, puisque pour rencontrer Samuel, Luce a organisé un habile jeu de piste. Enfin, pour suggérer que ces racines plongent loin, l'auteur use de la métaphore en indiquant que dans le jardin de Clara, la sœur de Samuel – plus attirée par les vivants que par les morts, ce qui crée un contrepoint – certaines plantes poussent vers le bas.
Faisant écho aux esprits plus ou moins bienveillants, dibbouks et autres, qui hantent "Par la racine", l'auteur place constamment des références régulières à la musique classique, présentée sous la forme d'enregistrements d'interprètes défunts. C'est ainsi aussi que les voix du passé viennent s'adresser aux humains du présent. Enfin, les contacts successifs avec la famille et les gens qui ont eu partie liée avec Luce et Samuel dessinent peu à peu un passé dont les méandres obscurs se trouvent soudain éclairés, pour le pire et pour le meilleur.
Gérald Tenenbaum, Par la racine, Paris, Cohen&Cohen, 2023.
Le site de Gérald Tenenbaum, celui des éditions Cohen&Cohen.
Lu par Didi, Henri-Charles Dahlem, Jostein, Keisha, Livresque78, L'Or des Livres, MHF, Sophie Songe, Textes Prétextes.
Si la couverture ne m'aurait pas attirée, le récit en lui-même possède de beaux atouts pour me plaire. Je te l'ai déjà dit mais je trouve tes avis extrêmement bien tournés. Il y a dans certaines de tes phrases, des expressions et des agencements qui donnent très envie de se plonger dans l'oeuvre que tu évoques.
RépondreSupprimerBonsoir et merci pour ton commentaire super sympa et émouvant, Audrey! Oui, c'est une belle lecture que "Par la racine", un beau voyage dans les zones d'ombre de quelques personnages et de quelques familles.
SupprimerJe te souhaite un bon dimanche et de joyeuses Pâques, avec quelques heures d'avance!