Catherine Migy-Quiquerez – L'envoi d'une dizaine de lettres anonymes injurieuses aura pourri pour longtemps la vie du paisible village jurassien de Bressaucourt, à un jet de pierre de Porrentruy. Parmi les destinataires, il y a Catherine Migy-Quiquerez. Choquée, elle dépose immédiatement plainte, et sa ténacité permettra de démasquer la personne qui est derrière ces messages odieux. "Le Corbeau de Bressaucourt dévoilé et jugé" est le témoignage véridique, "thérapeutique" selon ses dires, de tout ce qu'elle a vécu, avec sa famille et son entourage, tout au long d'une procédure tortueuse.
Entre la réception de la première lettre anonyme en 1996 et le jugement au civil en 2003, cette procédure aura duré sept ans. Sept années éprouvantes que l'auteure relate en détail, dans un livre aux airs de confession totale, sincère et naturelle, quitte à conserver quelques aspérités d'écriture. L'auteure évoque un vécu plombé par une affaire qui mine sa famille (elle s'efforce cependant d'en préserver ses cinq, puis six enfants) et nuit aux activités d'ingénieur de son mari.
Pour l'écrivaine, c'est aussi l'occasion de découvrir le fonctionnement de la justice, avec ses lenteurs, ses errements et ses espoirs déçus, mais aussi la manière dont elle s'articule avec la police. L'enquête traîne en effet si longtemps que les faits dénoncés sont prescrits au pénal (quatre ans). Elle a ses originalités: constatant, par un test de la salive qui a servi à coller les timbres, que le corbeau est une femme (une "corneille", comme on dit), la police demande un test ADN de toutes les femmes du village. Ce qui n'aboutit à rien, sinon à rendre l'ambiance encore plus irrespirable. C'est qu'il y a une astuce... que l'on finira par trouver, alors que la justice jurassienne est à deux doigts de classer l'affaire. Mais les Migy sont tenaces, gardent tout et réfléchissent, au moins autant que les enquêteurs...
L'auteure ne manque pas d'évoquer quelques éléments de contexte propres à créer quelques tensions au village, et dans lesquels elle est engagée: un projet de terrain d'aviation (elle y est opposée), le remaniement des écoles. Cela ne méritait certainement pas une attaque par voie de lettres anonymes! Même si ces circonstances villageoises sont évoquées dans ces missives, il demeure difficile de comprendre pourquoi la corneille a agi de la sorte, n'y ayant guère d'intérêt. L'auteure des lettres anonymes a du reste confié à un témoin qu'elle ne comprenait pas pourquoi elle avait agi ainsi. Elle est présentée comme abusant d'un tempérament dépressif, accumulant les certificats médicaux pour éviter de se présenter aux audiences de tribunal.
"Le Corbeau de Bressaucourt dévoilé et jugé" intègre les reproductions des lettres anonymes reçues, ainsi que des enveloppes – l'une portant le liséré noir typique des faire-part de décès. Le lecteur ne peut qu'être choqué par la violence des mots, qui contraste avec le style enfantin, scolaire, de la calligraphie. D'autres lettres, que la police n'a pas daigné montrer à la plaignante, ont été tapées à la machine à écrire, ce qui a constitué une piste d'enquête menant vers l'administration paroissiale.
Enrichi encore de nombreuses coupures de presse (pas toujours lisibles, hélas), ce livre s'inscrit dans le prolongement d'une première version, simplement intitulée "Le Corbeau de Bressaucourt", aujourd'hui épuisée. Très personnel, rédigé de façon pratiquement exhaustive par la première victime des menées d'une épistolière malveillante, "Le Corbeau de Bressaucourt dévoilé et jugé" est le témoignage important d'une période sombre pour un petit village (environ 450 habitants à l'époque des faits). C'est aussi un ouvrage atypique dans le parcours d'une écrivaine qui s'est surtout consacrée, jusque-là, à la poésie et aux contes pour enfants.
Catherine Migy-Quiquerez, Le corbeau de Bressaucourt dévoilé et jugé, Porrentruy, éditions Occident, 2003.
Un témoignage ou le récit d'une difficile épreuve que je note ! Ce phénomène de corbeau me semblant tellement surréaliste qu'il me semble important de se rappeler que derrière, il y a des victimes et des vies brisées ou du moins rendues difficiles...
RépondreSupprimerBonjour Audrey! Oui, c'est à découvrir. L'histoire, dramatique, date certes un peu, mais les ressentis des personnes impliquées ou concernées sont intemporels. Tout cela s'y trouve!
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