Géraldine Barbe – "Trouver chaussure à son pied": n'est-ce pas l'expression consacrée lorsqu'il s'agit, pour un homme ou pour une femme, de trouver sa moitié? C'est sur cette image que se fonde "Tous les hommes chaussent du 44" de Géraldine Barbe. Et ce sont les amours boiteuses de Gilda, marchant de manière inégale avec Jérôme ou avec Patrick, qui constituent l'intrigue de ce roman.
"Tous les hommes chaussent du 44" est un roman court aux chapitres denses, à commencer par le premier, qui fonctionne comme une exposition. Tout commence dans une ambiance ensoleillée et agréable, et d'emblée, l'histoire dit ce qu'il ne faut pas faire. Et ce à quoi Gilda va céder, comme de bien entendu, face à un personnage qui n'a pas tout de suite de prénom.
Le mystère se préserve en effet, du point de vue de Gilda: "Il n'a pas encore de prénom, Gilda le voit pour la première fois". Et il se prolonge au fil du roman, tant il est vrai que les deux personnages, Patrick et Gilda donc, vont se courir après au fil des non-dits et des fuites en avant, rendues plus tortueuses encore par les galères de la quarantaine: des enfants d'un précédent mariage qu'il faut encore gérer, des distances à parcourir en train, des caractères déjà bien marqués, en proie aux doutes.
Cela, même si Gilda est une femme dont le cœur est le moteur, qui marche à l'amour. L'auteure souligne cet aspect en jouant avec virtuosité et dynamisme sur les points de vue. Si la narration est faite à la troisième personne en effet, dans un souci de distance non exempte d'ironie, elle est aussi traversée par la voix, composée en italiques, de la conscience de Gilda qui lui suggère de s'arrêter et de réfléchir.
Enfin, Gilda est animée par un projet qui s'avère un piège éditorial: écrire une sorte de traité sur l'amour. Or, celui-ci est démenti au fil de sa rédaction par le propre vécu de cette femme. Ainsi, le lecteur découvre en Gilda une personne duale, partagée entre l'action impulsive et l'observation distanciée d'elle-même. Une observation qui a quelque chose de vain: "Tout le monde est à côté de la plaque", dit le titre du chapitre 32 qui conclut ce roman.
Et les chaussures, alors? Oui, les deux hommes entre lesquels le cœur de Gilda balance chaussent du 44 – ce qui n'en fait pas forcément une généralité, même si le titre du livre suggère le contraire. Reste cette ambiguïté en page 11, où l'on se demande si Gilda parle d'hommes ou de chaussures, ou l'utilisation ponctuelle du champ lexical idoine, par exemple en parlant de "galoches" pour parler de baisers. Enfin, il est certes peu probable que ce soit délibéré, mais Gilda est l'anagramme de Dagli, chausseur actif dans les villes suisses de Fribourg et Neuchâtel. Reste que l'image, pertinente, aurait mérité d'être davantage poussée, en particulier au-delà du début, pour conférer un surcroît d'originalité à l'œuvre entière.
Gilda apparaît comme le personnage récurrent de romans de Géraldine Barbe; sans doute est-elle son alter ego littéraire. "Tous les hommes chaussent du 44" se présente ainsi comme un roman amusé, de la longueur d'un "Que sais-je?" (sur l'amour, du coup?), évocateur d'une histoire tortueuse comme plus d'un (et une) en a vécu sans doute, lourde de toutes ses hésitations derrière une apparente certitude. Comme quoi, même à quarante ans, les doux pièges de l'amour continuent de fonctionner.
Géraldine Barbe, Tous les hommes chaussent du 44, Arles, La Brune au Rouergue, 2017.
Lu par Caroline Noël, Clio Baudonivie, Mes échappées livresques, Nath, Sylvie Sagnes.
Quel titre !! Belle année à toi :)
RépondreSupprimerMerci Violette!
RépondreSupprimerOui, des titres comme ça, si j'ose dire, c'est le pied... ;-)
Je te souhaite une excellente nouvelle année, riche en belles lectures et porteuse de beaucoup de bonheur.
J'aime beaucoup cette idée de donner voix à la conscience de l'héroïne !
RépondreSupprimerOui, et cette idée est bien exploitée qui plus est. Ce livre a été une chouette découverte, au-delà de sa couverture et de son titre un peu atypiques...
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