Jean-Marie Adatte – "Nos crépuscules", ce sont des gens qui s'en vont, et aussi un monde. L'écrivain Jean-Marie Adatte offre dans ce recueil pas moins de sept nouvelles rédigées dans un esprit humaniste, orienté tantôt vers le passé, tantôt vers l'avenir.
L'auteur met ainsi en scène des seniors dans "Le marronnier du Luxembourg ou le point zéro", "Des maisons et des hommes" et "Géronte-la-Jolie", première, troisième et cinquième nouvelles de l'ouvrage. Ces représentations se portent sur des personnages aînés dont le destin diffère.
Inspiré par "La Nausée" de Jean-Paul Sartre, "Le marronnier du Luxembourg ou le point zéro" met ainsi en scène un homme qui doute de ses sentiments et en fait le bilan au pied d'un énigmatique marronnier. Réciproquement, les bâtiments mis en place par l'auteur, inspirés de demeures singinoises authentiques, sont des personnages à part entière de "Des maisons et des hommes", récit d'un amour compliqué entre deux personnages, une femme et un homme, voisins qui ont beaucoup à se dire.
Enfin, "Géronte-la-Jolie" ose l'anticipation en imaginant un monde où l'on devient aisément centenaire. A sa manière, l'écrivain dessine en quelques pages l'un des thèmes les plus glaçants que portent les romans d'anticipation: celui de l'euthanasie d'Etat. De plus, en mettant en scène quelques seniors représentatifs, l'écrivain réussit à dire de façon crédible qu'il y en a, et ils seront majoritaires, qui croiront que la "pilule sans lendemain" est désirable. Vaut-il mieux vieillir et souffrir ou se suicider sereinement avec la bénédiction de l'Etat? La question est posée.
Deux nouvelles imaginent les promesses d'un monde futur, éventuellement meilleur. Entre nouvelle et journal, "Saison sèche" dessine un exode quasi biblique, celui d'habitants d'une région où il n'a jamais plu vers l'Amazone, pays réputé plus vert. Par-delà les divergences entre les groupes de personnages, il est encore permis de voir dans cette nouvelle une métaphore des mouvements migratoires d'aujourd'hui, à treize ans de distance. Cela, sans oublier, mais c'est peut-être lié, l'idée, portée par cette nouvelle, d'une planète Terre qui s'épuise et se transforme.
Quant à "Les survivants", elle met en scène un aîné qui, dans un avenir lointain, explique à son descendant ce qu'il ne peut plus comprendre: engins de guerre, conception de la sexualité et des rapports entre hommes et femmes. Cette nouvelle rappelle un texte de Gianni Rodari, "La parola piangere". Il réussit à saisir en quelques pages toute la difficulté de l'exercice de la transmission entre les générations. Et c'est sur les mots "On y va!", prononcés par l'enfant de la nouvelle répondant à son grand-père, que l'auteur prend ici congé de son lectorat: belle invitation à aller plus loin en laissant "Nos crépuscules" résonner!
Enfin, "Terrain vague" semble prendre une place particulière dans le recueil. Elle met en scène des jeunes uniquement, dans un contexte particulièrement violent et dépourvu de toute tendresse. Au lecteur, l'auteur n'épargne rien de ce gang qui ne pense qu'à tuer. D'emblée, l'auteur plante un décor sévère à base d'éclairages carrés et d'avenues rectilignes. Mais surtout, il réussit à développer une image animale pour les pulsions d'Alex: elles sont tantôt pieuvre, tantôt milan, tantôt chat. Mais c'est bien l'humain, perdant sa maîtrise, qui paraît le plus bestial dans cette nouvelle.
"Nos crépuscules" révèle au lecteur le talent d'un nouvelliste qui a su construire un recueil cohérent. Son imaginaire parfois futuriste se fonde sur les inquiétudes des années 2009: vieillissement de la population, usure de la Terre, amour par-delà le grand âge. Sont-elles encore d'actualité en 2023? Oui. Il vaut donc la peine de se mettre à l'écoute des sept nouvelles de "Nos crépuscules".
Jean-Marie Adatte, Nos crépuscules, Lausanne, L'Age d'Homme, 2009.
Le site des éditions L'Age d'Homme.
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