Général Marc Paitier – C'est le parcours de toute une vie de passionné du vin que Marc Paitier, militaire de carrière, a choisi de partager dans son livre "La mémoire du vin". Sous-titré "Entre héritage et transmission", il porte le double souci d'évoquer le passé et d'en transmettre le souvenir aux générations à venir. Cela, d'une manière tantôt factuelle, tantôt personnelle et passionnée, ce qui ne manquera pas d'enthousiasmer le lecteur.
Par ce livre, l'auteur prolonge sa volonté de communiquer une passion juvénile qui s'est développée lors de cours d'œnologie donnés en Côte d'Ivoire. C'est d'ailleurs à Karim Fakhry, grand commerçant d'origine libanaise installé à Abidjan, passionné d'entre les passionnés, que ce livre est dédicacé.
Un peu d'histoire...
La première partie de l'ouvrage est historique, et rappellera des souvenirs aux amateurs de ce genre de livre. Comme ligne directrice, l'auteur indique que le vin a toujours accompagné la civilisation indo-européenne sur le Vieux Continent, et au-delà dès lors qu'elle s'est exportée vers le Nouveau Monde. Pas à pas, il en explique l'extension, faisant voyager le lecteur de la Géorgie, berceau du vin, jusqu'au nord de la France, voire à l'Angleterre.
Il démontre avec talent que la configuration actuelle des terroirs viticoles d'Europe est un héritage ancestral, remontant à tout le moins à l'époque romaine, et que nous en sommes les bénéficiaires aujourd'hui encore par le biais des cépages et des terroirs. S'il assume son côté franco-centré, l'auteur dessine ici un panorama quasi mondial de la vigne. Quasi: en effet, il est regrettable qu'il ne dise rien des vignobles suisses ou autrichiens, pourtant porteurs d'une richesse démontrée et d'un génie qui leur est propre.
... et de génie...
Dans une partie intitulée "L'expression du vin à travers les lieux et les hommes", l'auteur aborde, de manière nuancée et originale, la part des uns et des autres dans la naissance d'un vin. Il fait sa place à la part du terroir, lieu de mémoire, celle, essentielle, de la lumière et de l'ensoleillement primordiaux pour que naisse la plante puis le fruit, et celle, humaine, sans laquelle le terroir "ne serait qu'une promesse", pour citer l'un des auteurs que l'écrivain mentionne. Relevant la part déterminante du génie humain dans l'éclosion d'un grand vin, le général Marc Paitier marche dans les traces du Jean-François Revel de "Un festin en paroles".
Grand vin? Voilà qui mérite un chapitre à part! L'auteur avoue s'être trouvé court lorsqu'un de ses disciples, assistant à un cours d'œnologie qu'il donnait, lui a posé la question de ce qu'était un grand vin. Question judicieuse à l'heure où une telle désignation paraît galvaudée à des fins de marketing. La modélisation qu'expose l'auteur est intéressante, pour ne pas dire plus. L'auteur retient et développe ainsi, de manière argumentée, cinq critères déterminants: la complexité, l'équilibre, la densité, la longueur en bouche et la capacité de garde.
... pour un sujet de conversation...
Il est permis d'en débattre; et précisément, le vin est là pour ça! Sans le dire expressément, mais en le suggérant fortement, l'auteur, peu adepte d'une dégustation en solitaire, indique que la meilleure raison de boire du vin, c'est d'en parler entre gens de bonne compagnie. Sur cette base, il revendique l'idée d'un vin comme lieu de partage et de dialogue civilisé, porteur d'une ivresse douce, sans ivrognerie, qui ouvre les vannes de la parole et de l'imaginaire. "Verres de contact"? La boutade est juste, et Antoine Blondin, cité par l'auteur, y a malicieusement pensé avant vous.
Cette vision personnelle du vin se prolonge dans "La mémoire du vin" par une étude subjective donc passionnante du lien qu'entretient le vin avec des éléments aussi divers que la musique (deux compagnons fréquents, depuis toujours) ou le temps: par quelques anecdotes vécues, l'auteur partage l'émotion qu'il peut y avoir à déguster un vin jaune mis en bouteille en 1843 ou à composer une cave de vins de garde dont on sait, passé un certain âge, que ce sera la génération à venir qui la goûtera. Et au-delà, il observe avec un regard équilibré les tendances actuelles: biodynamie, œnologie, parkérisation, etc.
... et de culture (encore) infinie
Face aux ingénieurs mondialisés sans intelligence (ceux qui veulent le mettre en canettes d'aluminium, par exemple) et aux partisans de vins vite produits, vite bus et vite pissés, l'auteur se fait ainsi le défenseur d'une culture du bon vin ancestrale qui mérite d'être défendue et illustrée, y compris face à certains lobbys hygiénistes que l'auteur dit particulièrement actifs en France – sans parler de l'industrialisation, et là, on lira avec profit, pour compléter, le court mais important essai "Menaces sur la civilisation du vin" de Raoul Marc Jennar.
Plutôt qu'une prohibition radicale destructrice d'une culture immémoriale dont même la bouteille en verre fait partie, l'auteur se fait ainsi le partisan résolu d'une éducation précoce à une consommation raisonnée et responsable du vin. Celui-ci est donc vu comme un breuvage patrimonial par excellence, porteur de nuances aussi riches que les terroirs et les personnalités humaines, encore et toujours teinté de mystère, "fruit de la vigne et du travail des hommes" comme le dit le prêtre à l'offertoire.
Général Marc Paitier, La mémoire du vin, Paris, Mareuil Editions, 2019.
Le site des éditions Mareuil Editions.
Tiens, ça me fait penser à un titre que j'avais lu puis mis à disposition de l'AMAP dont je fais partie (pour notre système de prêt de livres): "Plaidoyer pour le vin naturel" (Eric Morain)...
RépondreSupprimer(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Bonsoir Tadloiducine, merci pour ton commentaire! En effet, il y a plein de chouettes livres sur le vin; je garde celui que tu évoques en mémoire. Merci pour le tuyau! Et bonne année à toi!
SupprimerJe ne bois pas de vin, mais l'ouvrage a l'air passionnant d'un point de vue culturel et historique. Je pense l'offrir à mon père pour son anniversaire, lui qui aime à défendre l'idée d'un vin de qualité...
RépondreSupprimerBonjour Audrey!
SupprimerEn effet - et en plus d'être instructif, il est passionnant parce qu'il est l'oeuvre d'un passionné qui parle de ses propres expériences. Cela pourrait donc effectivement faire un chouette cadeau pour ton père.
Bonne fin de semaine à toi!