Céline Zufferey – Photographe pour un magasin de meubles en kit, quel métier! C'est un personnage de cette espèce que la romancière suisse Céline Zufferey met en scène dans son premier roman, "Sauver les meubles". A sa manière, avec ses qualités et ses limites, cet ouvrage original dans sa forme et dans ses idées explore le thème classique du consumérisme et de la déshumanisation.
Déshumanisation d'abord: en mettant en scène une équipe de personnages à peine prénommés, parfois juste surnommés (Assistant ne semble pas avoir d'autre nom, Sergueï-le-Styliste est réduit à sa fonction même s'il est prénommé, la modèle enfant Miss KitKat est ramenée à une friandise), l'auteure indique le caractère interchangeable du personnel dans une entreprise. Et ce, dans un domaine qu'on pourrait croire créatif et personnalisé, celui de la photographie.
Et voilà: le photographe lui-même est anonyme. C'est un personnage qui a choisi de renoncer à la photographie d'art, éminemment personnelle, pour adopter un métier qui lui assurera une certaine stabilité de vie, ne serait-ce que pour financer les soins dus à son père en fin de vie. Décrivant avec moult détails les servitudes de la photographie de meubles en kit, subordonnée à l'impératif de vendre, l'auteure désenchante méticuleusement le rêve de cet art dont l'un des ressorts est de capter l'inattendu de chaque instant.
Cette ambiance consumériste se reflète dans l'ambiance sexualisée qui baigne tout le roman. L'auteure insiste sur les côtés un peu graveleux des relations au sein du personnel, relève aussi que le photographe anonyme hante, sans succès certes, les sites Internet de rencontres positionnés sur les plans cul. Enfin, c'est la proposition d'un collègue de monter un site de photos pornographiques qui semble offrir une porte de sortie créative au photographe. Vraiment? Dans une succession rapide de plans vers la fin de "Sauver les meubles", donnant au lecteur une impression vertigineuse de mélange sans fin, l'auteure suggère que photographier des meubles ou des culs, c'est un peu pareil en fait: tout est apprêté, rien n'est vrai, tout doit plaire au plus grand nombre.
Il est dès lors permis d'espérer quelque chose d'authentique de l'idylle qui se dessine entre le photographe et Nathalie, sa modèle. Une relation qui, par contraste, a du goût puisqu'elle est essentiellement conflictuelle. Le lecteur se dit que ça ne va jamais tenir... et pourtant, il n'y a pas de rupture. Dès lors, et c'est un peu dommage, "Sauver les meubles" s'achève sur une réconciliation apparente qui a un air d'inachevé: Nathalie ne sait rien de l'activité de photographe porno de son compagnon, celui-ci n'a guère changé depuis un début marqué par le choix d'une sûreté de vie marquée par la soumission à un employeur, à une copine, à une activité de loisirs. Ces personnages sont-ils aptes à la vraie vie à deux, entre adultes, celle où les caractères se frottent? Question sans réponse.
Des couples qui s'emboîtent comme des meubles en kit? Tel pourrait être le rapprochement ultime, suggéré par ce roman, entre le mobilier et le porno. Porté par des chapitres souvent courts, trop parfois, "Sauver les meubles" laisse l'impression d'un premier roman plein de belles promesses, mais singulièrement court en bouche malgré quelques détours malicieux voire amusants, qui brocardent les travers d'une société où les hommes et les femmes consomment indifféremment les meubles et les humains.
Céline Zufferey, Sauver les meubles, Paris, Gallimard, 2017.
Le site des éditions Gallimard.
Lu par Biblioblogueuse, Femmes de lettres, Geneviève Munier, Gilles Pudlowski, Heliena-Gas, Le Carré Jaune, Le Marque-Page, Marianne Peyronnet, Nicole Grundlinger, Pascal Schouwey, Passion de lecteur, Romanthé, Stella Noverraz, Stemilou, Winnie The Pooh, Zazy, Zazymut.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Allez-y, lâchez-vous!