Jean-Michel Olivier – "Fête des pères", c'est le livre des séparations et de la dualité. Le dernier roman de Jean-Michel Olivier suit en effet un personnage de comédien, Damien Maistre, quitté par son épouse, Leslie Nott. Entre eux, il y a un enfant, dernier lien d'une union qui aura duré six ans.
Ce roman se déroule dans un contexte politique précis: celui du Brexit. Il est dès lors permis de considérer que le Royaume-Uni, géographiquement isolé de l'Europe, se sépare de l'Union européenne au moment même où Damien Maistre se sépare de Leslie, qui se sépare elle-même, forcée, de certaines convictions politiques: Américaine votant religieusement démocrate, elle ne se remet pas de l'élection de Donald Trump à la Maison Blanche.
Damien Maistre est d'ailleurs lui-même constamment écartelé entre deux pôles: deux logements, l'un à Paris, l'autre à Genève; une présence au cinéma comme au théâtre, deux nationalités même. Quant à son enfant, il aura deux domiciles. Et l'intrigue du roman, découpée en quatre parties, adopte constamment deux points de vue: tantôt une vision distancée à la troisième personne, tantôt le regard de Damien Maistre, qui se fait ainsi narrateur.
Le lecteur découvre alors un comédien quadragénaire sur le déclin après une carrière honorable, parfois impulsif voire violent, coaché par un agent qui ne sait plus que faire pour lui trouver des mandats, si mineurs qu'ils soient. Damien Maistre s'avère aussi sarcastique parfois. C'est à travers son regard que le lecteur vit, tantôt surpris, tantôt amusé, la vie d'un "père du dimanche" parmi d'autres, relatant les galères de ceux qui ne voient guère leurs enfants et sont astreints à verser des pensions alimentaires à leur(s) ex. Les amateurs de restaurants découvriront entre autres, hilares et horrifiés à la fois, que l'un d'entre eux a trouvé une solution pour manger "à l'œil" au restaurant...
Ce côté tranche de vie, finement observé, cède la place à l'aventure en deuxième partie de roman: le réel, avec son caractère ordinaire, tourne ainsi au roman d'aventures à moto. Un homicide, un vol, puis l'enlèvement du fils par un père qui en a marre d'attendre pour le confier à son ex-épouse suffisent pour qu'une manière de road-story échevelé, complice, à travers le Royaume-Uni voie le jour – l'occasion d'inventer un nouveau lien, suivi, empreint d'amour et de maladresse à la fois, entre un père et un enfant de huit ans.
L'aventure part vers l'île d'Aran, qui fait rêver le lecteur de Nicolas Bouvier qu'est Damien Maistre. Et tout s'achève comme dans un film policier, la distance entre la fiction et le réel semblant abolie dès lors que Damien Maistre comprend qu'il aura joué là, par excellence, le rôle de sa vie. Le plus aimable? On peut en débattre longuement, tant l'auteur met en avant, généreusement, les zones d'ombre comme les lumières de son personnage principal. Le plus vrai? Certainement.
Avec "Fête des pères", le lecteur fidèle de Jean-Michel Olivier retrouve avec bonheur les personnages azimutés, produits d'une société un peu dingue, que l'écrivain excelle à créer. Deux ou trois fantômes, des psys de toutes obédiences et quelques belles femmes (où est Ambre, d'ailleurs, promise par la quatrième de couverture?) viennent compléter cet univers réaliste, reflet des névroses et des totems renversés de la deuxième décennie du vingt et unième siècle.
Jean-Michel Olivier, Fête des pères, Lausanne/Paris, Editions de l'Aire/Serge Safran, 2022.
Le blog de Jean-Michel Olivier, le site des éditions de l'Aire, celui des éditions Serge Safran.
Lu par Francis Richard, Henri-Charles Dahlem.
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