Paul Fournel – Grosses? Elles le sont peut-être, sans doute même, les femmes qui peuplent le recueil de nouvelles "Les grosses rêveuses" de Paul Fournel. Pas nécessairement par leur physique, mais surtout parce que leurs rêves finissent par occuper toute la place de tranches de vie familières que le lecteur (re)découvre au fil des pages.
Si "Les grosses rêveuses" se présente comme un recueil de nouvelles, ce petit livre a aussi des airs de roman. Si chaque texte est en effet construit dans une unité d'action typique de la nouvelle, chute incluse, en effet, le jeu serré de la récurrence d'un petit nombre de personnages confère à l'ensemble une dynamique de roman – d'autant plus que le lecteur voit vieillir ces personnages, généralement féminins bien sûr, du livre.
Cette récurrence des personnages concourt à l'ambition de l'écrivain de dessiner un milieu familier. Cette ambition se retrouve aussi dans l'écriture, toujours ancrée dans le concret et dans des réalités familières à tout un chacun, témoins d'une France intemporelle: "Les grosses rêveuses" trouve son cadre dans un village où tout le monde se connaît, où l'on trouve des lieux aussi typiques, apparemment immuables, qu'une boucherie, une confiserie ou une église. Immuables? On les aurait aimés tels: ce recueil a quarante ans tout rond, et tout cela a pas mal disparu depuis.
Et qui sont-elles, ces villageoises? "La danseuse", première nouvelle du recueil, fait figure de chapitre d'exposition en mettant en scène un bal villageois rituel où tout le monde se retrouve pour gambiller, et s'observe pour commérer ensuite. C'est habilement troussé: les phrases et les idées ressassées, récurrentes au fil des lignes, paraissent tourner en rond comme le font les danseurs au rythme de la musique. Et en peu de pages, le lecteur connaît tout le monde: on est au village.
Dès lors, l'auteur relate avec adresse des scènes d'apparence ordinaire, mais auxquelles un léger décalage permet d'ouvrir la porte du rêve en permettant à ces femmes, tantôt nommées tantôt prénommées (il y a Thérèse qui rit quand on la..., Claudine qui est passée à la télé avec Léon Zitrone, la grosse Claudine, Jeannine qui aime les pâtisseries), tantôt nommées (la veuve Wasserman, qui vit dans le garage de la belle maison rêvée et bâtie par son défunt mari), de se "faire des films" – excellente idée de l'auteur, puisqu'après tout, l'humain est champion dans ce fol exercice d'extrapolation.
Alors oui, le titre tient sa promesse: il sera aussi question de rapport au corps dans "Les grosses rêveuses", et ceux qui le prennent au premier degré peuvent prendre ce recueil ainsi. Ils souriront à la chute un peu vache de la nouvelle "La surprise", qui annonce la teneur d'un cadeau suspect, bien plus violente qu'une bombe à retardement, seront déconcertés par l'issue de "Belle de lunch" provoquée par un compliment aimable a priori, ou surpris par l'interprétation toute personnelle qu'une femme donne au mot "orgasme" dans "La vie des mots". Ils seront épatés aussi par le rapport mal réparti à la danse des deux personnages féminins de "Soirée de gala", chacune n'ayant pas forcément le physique de ses envies.
Et avec ses sinuosités décrites dans la dernière nouvelle intitulée simplement "Le village", enfin, le village où se passe le recueil apparaît lui-même comme la femme ultime, gros (!) de toutes les petites intrigues bien concrètes et villageoises que l'écrivain dessine – secrets inclus, mine de rien. L'auteur manie ainsi le pinceau avec une souriante aisance pour dessiner la rondeur des femmes et de la vie, à la manière d'un Fernando Botero, caressant beaucoup, égratignant à peine. "Les grosses rêveuses"? On est dans leur village, et avec l'écrivain, on s'y love comme chez soi.
Paul Fournel, Les grosses rêveuses, Paris, Seuil, 1982/Points, 2011.
Le site de Paul Fournel, celui des éditions du Seuil, celui des édition Points.
Lu par Bernard Mirgain.
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