Sylvie Barbalat – "Au rythme des oiseaux", c'est vers le nord à la saison belle, vers le sud lorsqu'il commence à faire froid, comme les hirondelles. C'est ainsi que s'organise Chloé, le personnage principal du dernier roman de l'écrivaine suisse Sylvie Barbalat. En effet, Chloé est une jeune femme qui exerce le métier de "cycliste autosponsorisée". Concrètement, elle sillonne les routes d'Europe, libre comme l'air, mendiant çà et là de quoi vivre, luttant contre les adversités et profitant des cadeaux de la vie avec son rat Lazare. Tout change lorsque Chloé tombe sur un gars en hypothermie, échoué sur une plage de Chios. Ce gars, c'est un migrant syrien nommé Daoud. Il va l'accompagner à travers l'Europe.
L'écrivaine met en scène, on l'imagine volontiers, deux caractères forts qui vont s'entrechoquer. Chloé est bien entendu jalouse de sa liberté de cycliste, qui cache peut-être le besoin d'une fuite par rapport à une vie qui n'a pas été de tout repos, avec son cortège de dépendances et de relations familiales conflictuelles. De son côté, Daoud, étudiant et poète marqué par la guerre, se sent responsable de celle qui l'a sauvé. Et bien sûr, l'un comme l'autre a son sens de l'honneur, sa manière de se frayer une voie dans cette jungle qu'est l'existence quand on évolue en marge du système, de gré ou de force.
"Au rythme des oiseaux" est chargé de questionnements sociaux. La question de la dépendance est abordée au travers des drogues, légales ou non, mais aussi, d'une certaine manière, au travers des attachements que la vie dessine. "L'amour est-il une drogue?" se demande-t-on en voyant la manière dont Chloé et Daoud l'envisagent. Avec Daoud, la romancière se donne par ailleurs l'occasion de créer un personnage de migrant doté d'une épaisseur certaine, jusqu'à ses cauchemars et à ses inquiétudes du quotidien, dûment travaillé, sans pathos. Il suscite ainsi l'empathie du lecteur malgré son tempérament possessif, limite toxique à force de vouloir être toujours là pour Chloé et la protéger malgré elle: il faut beaucoup de force de caractère à Chloé pour ne pas aliéner sa chère liberté.
La question de la religion, et plus largement du mysticisme, est présente aussi dans "Au rythme des oiseaux", et crée aussi quelques chocs entre les personnages. Elle n'épargne pas Chloé, athée par dépit; elle concerne également Daoud, musulman qui ne connaît guère que le contexte de l'islam. Du côté de l'entourage de Chloé, c'est le christianisme qui règne, avec des zones d'ombre mais aussi, au travers de tante Yvonne, la question des secrets de guérison – une intervention permet ainsi, et c'est malicieux, de quasi-ressusciter le rat Lazare, victime d'une attaque de rapace... Mais peu à peu, l'auteure rapproche ces traditions spirituelles, en une manière résolument humaniste.
A l'instar de Daoud, chacun des personnages de "Au rythme des oiseaux" est travaillé en profondeur, et tous ont leurs zones d'ombre et leurs secrets, qu'ils soient oiseaux de passage (Daoud est fauconnier, en plus...) ou paisibles fonctionnaires fédéraux – sans oublier le compagnon à quatre pattes de Chloé. Cela permet de créer un univers où les relations interpersonnelles fonctionnent sans qu'elles ne sonnent jamais faux, même si elles empruntent des voies originales – pensons à Daoud qui, chargé par Chloé d'écrire un SMS par semaine à sa mère Corinne pour dire que tout va bien, va finir par lui écrire de vraies lettres qui seront un ferment de complicité... qui se traduira par un soutien bienvenu plus tard et mettra de l'huile dans les liens entre Chloé et Corinne. Et l'on finit par s'attacher à toute cette brassée de personnages.
Sylvie Barbalat, Au rythme des oiseaux, Lausanne, Plaisir de lire, 2022.
Le site des éditions Plaisir de lire.
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