Étienne Barilier – Plusieurs écrivains se sont amusés à revisiter les "Exercices de style" de Raymond Queneau. 75 ans après leur parution, l'écrivain suisse Étienne Barilier s'est donné pour défi de remettre ça, d'une manière à la fois personnelle et ancrée dans l'héritage quenellien.
Cela donne "Exercices de style éroti-comiques", soit 99 fois une histoire un chouïa coquine qui mêle amours adolescentes au fond du bus (l'X, cette fois, héritage transformé de Queneau), voyeurisme et tentative avortée de candaulisme. Cette histoire renouvelée a quelque chose des nouvelles du temps du "Décaméron" de Boccace, et l'auteur l'assume. On peut imaginer, tant elle leur colle à la peau, qu'elle a été conçue exactement pour tirer le meilleur des contraintes que représentent les styles choisis par Raymond Queneau dans ses "Exercices de style": à quelques libertés près, Étienne Barilier les a repris tels quels.
Et dans ces nouveaux "Exercices de style éroti-comiques", on rigole beaucoup, plus encore que chez Raymond Queneau. L'auteur ne manque pas de jouer avec les codes de la nouvelle leste de la Renaissance, et cache quelques contrepèteries croustillantes çà et là pour surprendre et amuser le lectorat. Quant à "Hellénismes", l'auteur y glisse les étymologies grecques inattendues, sans doute alternatives, de quelques mots bien vaudois – voilà un soupçon discret d'ancrage local de la part de l'écrivain suisse, comme une pincée de sel.
Les mots et les sonorités résonnent entre elles, chaque élément du livre apparaissant comme un nouveau trésor travaillé avec un grand souci du détail et du rythme pour qu'à chaque étape, le lecteur se sente plongé dans un nouvel univers – malgré le caractère identique de l'histoire, énoncée dans "Notations" comme il se doit. Le vers est également utilisé, l'auteur choisissant une forme néoclassique de l'alexandrin pour "Alexandrins" et "Sonnet".
De plus, louvoyant entre les styles imposés par Raymond Queneau et se les appropriant pour en faire quelque chose de neuf, l'écrivain n'hésite pas à jouer avec les points de vue, focalisations et regards, avec virtuosité. Le lecteur peut se retrouver dans la tête d'un des personnages (même le chauffeur de bus, réincarnation du stéréotype du vieux vicelard) ou à la place d'un narrateur extérieur plus ou moins omniscient, lui-même doté d'une personnalité propre qui le fait s'exprimer de telle ou telle manière.
Chacune des 99 séquences des "Exercices de style éroti-comiques" est ainsi travaillée en finesse, dans un souci de recherche de résonances et de nouvelles possibilités. Ce sont pourtant bien les grands jeux de la littérature que l'écrivain fait sonner, tour à tour, au fil des pages, pour offrir un petit livre qu'on lit avec gourmandise et qui, face à son illustre modèle, ne démérite nullement – bien au contraire! C'est un festival de jeux de mots et de styles, et un bijou néo-oulipien à découvrir.
Étienne Barilier, Exercices de style éroti-comiques, Prilly, Presses Inverses, 2022.
Le site d'Étienne Barilier, celui des éditions Presses Inverses.
Plusieurs ouvrages ont relevé le défi des exercices de style. Citons-en deux, que je connais un peu.
Bernard Demers, Les nouveaux exercices de style, Paris, Le Pré aux Clercs,1991. (même histoire que Queneau, autres styles)
Collectif, 99 variations façon Queneau, Vermiscellanées, 2018. (autre histoire, autres styles)
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