Pierre Yves Lador – Signée Pierre Yves Lador, "La guerre des légumes" est une épatante fantaisie légumière. Celle-ci a pour ambition, pleinement assumée, d'épuiser par le genre littéraire tout cet imaginaire que nous lions aujourd'hui à ces délicieux machins que nous appelons des légumes. Et connaissant l'auteur, cela ne peut être qu'ogresque, voire rabelaisien! Nous voilà, avant l'heure, dans une manière de storytellisme – comme le dirait l'écrivain et préfacier Stéphane Bovon.
Un peu de mise en contexte d'abord: "La guerre des légumes" trouve place dans une œuvre généreuse où la nourriture occupe une place considérable, reflet peut-être du vécu de l'écrivain lui-même. Ainsi, cet opus sera complété ultérieurement par des textes tels que "Confession d'un repenti", ouvrage qui évoque la dépendance au sucre et aux glaces dévorées à même le bac, ou "Variations vegan", essai qui appelle au bon sens face à l'obsession végétar/l/ienne.
Dans "La guerre des légumes", l'auteur met en présence trois personnages, trois totems en partie humains: le narrateur lui-même, identifié comme un ours, Maria Stella, vue comme une étoile d'origine grisonne, et le chou, comparse récurrent et représentant des légumes. Le lien entre ces personnages a cependant tout du dialogue entre humains, à la façon d'un Platon parfois. Donc oui: le chou susurre à l'oreille de l'ours, qui se fait son porte-parole.
Que disent les légumes, alors? L'auteur expose le paradoxe de leur apparent pacifisme à l'aune de celui des humains: défendre la paix, c'est parfois faire la guerre ou en tout cas la préparer. Il n'y aura certes pas de conflit armé dans "La guerre des légumes", mais quand même quelques revendications claires qui tiennent du refus du gaspillage (une carotte, c'est bon à manger, mais face au légume, est-ce moral pour une femme de rejouer avec lui le refrain jouissif et graveleux de la "petite Charlotte"?) ou du soin apporté à leur apprêt. Sans oublier, in fine, le refus des excès humains en tous genres.
Et qu'en est-il de l'aspect sensuel, voire érotique, en tout cas charnel, des légumes? L'auteur explore ce territoire d'une façon sensuelle et délicieuse, faisant appel aux images pour rapprocher le sexe féminin d'un chou coupé, pour trouver des métaphores végétales au sexe masculin. Le lexique lui-même vient à la rescousse, en particulier lorsque l'on parle de raves et de sang humain. Et bien sûr, le contact avec les légumes renvoie à la prime jeunesse, et l'auteur ne manque pas, en des stances exemplaires qui concluent certains chapitres, d'évoquer l'imaginaire personnel, intime, de ces légumes goûtés ou touchés naguère.
Le lecteur découvre au fil des pages une vision écologique du monde, marquée par le bon sens: certes, il est devenu de moins en moins défendable de gaspiller sans réfléchir, mais il convient de privilégier des logiques de proximité, même si elles ne sont pas végétariennes, plutôt que des véganismes extrêmes qui n'évitent pas les kilomètres d'avion à des légumes (et à des fruits) qui n'en peuvent mais. Entre la vache qui pète et l'avocat qui vole, qui est le plus éco-problématique?
"La guerre des légumes" a certes une intrigue, fondée sur les relations entre l'ours, l'étoile et le chou. Dans un esprit festif, celle-ci balade le lecteur dans un monde alpestre un peu mystérieux qui va du Pays d'Enhaut, où vit l'écrivain, et les Grisons, terre d'origine de Maria Stella. On l'oublie cependant assez vite face à la philosophie amplement développée par l'écrivain. Une philosophie qui, au-delà des réflexions personnelles, convoque dans un gai savoir réjouissant les références littéraires malicieuses (ça va de Borges au Prince de Motordu en passant par Virgile – sans oublier, bien sûr, le Concombre masqué) ou les allusions à la chanson française.
Quant aux jeux de mots et aux néologismes qui émaillent "La guerre des légumes", ils sont la marque de fabrique d'un écrivain avide de sens, qui ne manque aucune occasion d'explorer l'imaginaire des nombreux mots clés qui nourrissent son propos. Et, par ricochet, nourrissent le lecteur...
Pierre Yves Lador, La guerre des légumes, La Chaux-de-Fonds/Dole, Olivier Morattel éditeur, 2010. Préface de Stéphane Bovon.
Le site de Pierre Yves Lador, celui des éditions Olivier Morattel.
En une "Grande trilogie", l'auteur associe "La guerre des légumes" à "L'Enquête immobile" et "Poussière demain", ce dernier trouvant également place dans un milieu alpestre qui résonne avec l'Europe en un imaginaire singulier.
Un fantaisie légumière ? N'en dis pas plus....
RépondreSupprimer... et en plus, l'écriture est gourmande!
Supprimer