jeudi 14 juillet 2022

"Art nouveau", un architecte à Budapest

Paul Greveillac – D'entrée de jeu, le lecteur le comprend: il sera question de bâtiments dans "Art nouveau", roman historique et réaliste signé Paul Greveillac. L'écrivain plonge dans le tournant du vingtième siècle tel qu'il a pu être vécu du côté de Budapest, ville provincialisée par Vienne, capitale de l'empire austro-hongrois, qui tourne pourtant en rond à la manière d'une valse.

En écho, Budapest devient la source d'inspiration du personnage principal de "Art nouveau", Lajos Ligeti. Ce jeune architecte d'origine juive, fils de pharmaciens viennois, y voit un lieu à reconstruire, point de départ pour bâtir à neuf toute l'Europe. L'auteur dessine d'emblée cette exaltation en relatant les premières observations de son personnage principal.

Tout "Art nouveau" est traversé par les débats qui marquent le monde de l'architecture au temps de son personnage – des questions qui, sans doute, se posent aussi aujourd'hui. Evoquant par exemple le débat sur l'ornementation architecturale opposée à la fonctionnalité la plus rigoureuse, l'écrivain est habile à reconstruire les concepts qui se cachent derrière une création, humble ou ambitieuse: Lajos Ligeti débute en créant des tombes, avant d'hériter de quelques gros mandats qui, tout en le rendant brièvement célèbre, le poussent à se positionner entre tradition, nationalisme et modernité.

Ces mandats suffiront-ils à installer ce jeune homme passionné de pyramides égyptiennes? Sa judéité va-t-elle le desservir? Et qu'en est-il des vols d'idées, dans un milieu dans lequel, selon l'écrivain, tous les coups sont permis? La carrière de Lajos Ligeti prend les allures d'un tour sur les montagnes russes, en compagnie de son acolyte, le maître d'œuvre Barnabás Kocsis, et de son épouse et muse, Katarzyna. Tragique, la fin est programmée – et jusqu'à ce moment ultime, l'auteur va surprendre.

Avec "Art nouveau", le lecteur va se délecter d'un roman à l'écriture soignée dans le style flamboyant et musical, portée par un vocabulaire riche et précis. Musical, même? C'est peut-être un hasard, mais plus d'un des personnages principaux de ce roman porte un nom de famille de musicien connu – outre György Ligeti bien sûr, on pense au compositeur Lajos Bárdos ou au pianiste Zoltán Kocsis, entre autres. 

Et de la musique, il y en a dans "Art nouveau", en contrepoint artistique à l'architecture: les cymbalums du bar à Török où Lajos Ligeti a ses habitudes répondent aux tentatives d'enregistrement de Béla Bartók. Et Adolf Hitler, traînant sa jeunesse à Vienne, fait un lien artistique fugace, à la fois inattendu et évident: on le voit tantôt dans un chœur d'enfants chantant Noël, âgé de huit ans, tantôt jeune peintre de bâtiments – féru d'architecture, tiens. C'était avant qu'il n'ambitionne lui aussi de bâtir l'Europe à sa manière, de triste mémoire. 

Les ombres d'Egon Schiele et de Robert Musil errent aussi dans les parages: c'est que la fiction rencontre la réalité dans "Art nouveau", d'une manière si adroite que le lecteur peine à démêler le vrai du faux. Après tout, se demande-t-on au fil des pages, face au travail que l'auteur lui consacre pour l'approfondir et lui donner une épatante épaisseur, Lajos Ligeti est-il un personnage réel ou fictif? 

Paul Greveillac, Art nouveau, Paris, Gallimard, 2020.

Egalement lu par Alain Deroubaix, Aurélien, CannetilleMatatoune, Ourson Coco.

2 commentaires:

  1. C'est intéressant de confronter les points de vue : je n'avais pas noté le contrepoint musical que vous avez remarqué. C'est vrai que ce livre est d'une grande richesse.

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    1. En effet Cannetille, la confrontation des points de vue est fructueuse! En découvrant les noms des personnages, j'ai eu l'impression que l'auteur avait sa collection de CD classiques sous les yeux, ça m'a frappé. Et en l'occurrence, c'est parfaitement dans l'esprit de ce riche roman.
      Merci d'être passée! Je vous souhaite une bonne fin de semaine.

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