Bruno Testa – Saromain, c'est le double littéraire du village ligérien de Saint-Romain-le-Puy. Depuis plusieurs ouvrages savoureux, l'écrivain Bruno Testa y trace son sillon au gré de l'histoire du vingtième siècle – une histoire qui est la sienne aussi. Paru en 2019, "Les Italiens" relate plus particulièrement la transformation d'une localité rurale par l'installation d'une verrerie sur son territoire, accompagnée de l'arrivée d'une immigration italienne nombreuse et âpre à la tâche, venue avec sa propre histoire et sa propre vision du monde.
Qu'on se le dise: loin d'une froide sociologie, Bruno Testa fait œuvre d'écrivain une fois de plus. Il y a de la tendre ironie dans la relation qu'il fait de presque un siècle d'histoire, de la fin du dix-neuvième siècle jusqu'à ce cœur du vingtième siècle qui a vu naître l'auteur, précisément dans ce contexte. C'est avec malice qu'il décrit l'évolution du centre de gravité du village, avec ses lieux clés qui sont le cimetière, l'église, le bistrot. Une malice signifiée par ces vaches qui, apparemment placides, observent le changement d'un œil qu'on peut quand même penser étonné.
Le village Saromain gagne peu à peu une stature industrielle presque déstabilisante, la verrerie se voyant rapidement flanquée d'une entreprise d'eaux minérales – dont l'émergence doit précisément beaucoup à la gourmandise des vaches, encore elles. Piquant de l'histoire: une fois la source locale (est-ce la source Parot?) privatisée et son eau mise en bouteilles, elles ne pourront plus se désaltérer goulûment à la source d'eau naturellement gazeuse de la commune.
Si elle est marquée par un sourire constant, la lecture que l'écrivain fait de l'histoire des lieux n'en est pas moins caractérisée par des éléments concrets. Cela va au-delà du rapport respectif des Italiens et des Français à la religion catholique, même si ça compte aussi. L'auteur dit les jardins que les Italiens s'acharnent longtemps à faire vivre, ainsi que les conserves qu'ils tirent des fruits et légumes qu'ils ont fait grandir – confidence: c'est un peu pareil pour les Italiens venus en Suisse après la Seconde Guerre mondiale. Il dit aussi les risques du métier, quand il fallait souffler les bouteilles à la bouche, puis la prospérité et les salaires qui augmentent, rendant les jardins inutiles.
Et pour donner du cœur à son ouvrage, l'auteur va jusqu'à dresser quelques portraits, avec délicatesse. Même s'ils sont présentés comme des légendes locales, le lecteur n'y prête guère attention au fil des pages, il pourra peut-être même trouver presque banals ces visages d'anonymes, comme cette femme, Scholastique, vêtue du noir de tous ses deuils, ou Marius, surnommé l'Âne parce qu'il est bien membré. Pittoresque? Certes. Révélateur? Tout autant. Dérisoire? Voire.
Car voilà le dernier tour, génial, de l'écrivain: il les rappelle en fin de roman, indiquant leur décès, qui signifie la fin d'une époque et suscitant une bouffée de nostalgie chez le lecteur presque triste d'arriver au bout de ce court ouvrage, et à la fin d'un cycle. Les Français et les Italiens de Saromain se sont observés, toisés, appréciés, aimés et étreints au fil des générations, ils sont sans doute partis du village, mais c'est bien à eux de jouer les actions d'aujourd'hui et de demain: "Maintenant, c'était à leurs bons à rien de descendants de se débrouiller, de prendre le relais, de porter à leur tour ce fardeau de sueur et de peine qu'est la vie."
Bruno Testa, Les Italiens, Lyon, Utopia, 2019.
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