Maeva Christelle Dubois – Un monde d'éléments sur Terre, avec l'eau, le feu et l'air, et toute leur puissance qui reflète les adversités auxquelles l'humain doit faire face tout au long de sa vie. Tel est le sombre et puissant univers que l'écrivaine Maeva Christelle Dubois installe dans son roman "Miseria", le deuxième après "L'ode et le requiem".
L'eau vient avant tout, omniprésente dans ce monde d'ostréiculteurs et de pêcheurs de maquereaux. Il y aura de la pluie: les gouttes viennent plomber l'ambiance et se confondent à plus d'une reprise avec celles des larmes des personnages en proie aux peines de l'existence. Pour aller plus loin, l'auteure fait également attention aux noms de ses personnes, plus d'une fois évocateurs: un bonhomme nommé Delaigue, avec sa finale qui pointe vers le latin aqua, se trouve parfaitement dans son élément ici.
Si l'eau occupe une place majeure dans "Miseria", l'air lui répond, par le biais du ciel d'où surgit soudain une lumière, ambiguë. Celle-ci se reflète dans les yeux de certains personnages, en particulier Minot, ce garçon délicat aux yeux de soleil qui paraît peu à sa place dans l'histoire de Marcelle et de son mari, un couple installé dans les métiers de la pêche. L'air, c'est aussi l'éther, moyen choisi par l'un des personnages pour se donner la mort.
Quant au feu, il apparaît par le biais de Minot justement, ce garçon qui aurait dû s'appeler Ignace (du latin ignis, le feu) et dont le regard de feu heurte le peuple des petites gens qui vivent de la mer et de ses eaux: l'un est notoirement l'ennemi de l'autre. La romancière souligne également, en un tout dernier chapitre délétère, le caractère purificateur des flammes, relevé également par la Bible. C'est qu'il y a aussi de la religion dans "Miseria", ce roman où l'on entonne souvent le "Miserere", comme s'il y avait une transcendance empreinte de pitié.
"Miserere" se passe dans le passé, mais ce n'est pas exactement un roman historique. L'auteure entretient un flou certain dans l'époque décrite, qu'on peut situer quelque part au dix-neuvième siècle, dans un lieu curieusement à l'écart des aléas de l'Histoire. Quant au lieu, "La Croix-de-Sel", il semble inventé mais pourrait se trouver en France, sur la façade atlantique. Ce flou local et temporel contribue à conférer à l'ouvrage l'ambiance d'un conte, soulignée également par une écriture travaillée, envoûtante, consciente des forces de la rhétorique.
Du côté des inspirations, impossible de ne pas penser au romantisme, noir ou non, teinté d'esprit gothique au travers d'une cathédrale surdimensionnée qui va jouer son rôle dans le destin des personnages. L'auteure décrit un monde de personnages fous ou malades, aliénés sinon par le travail et ses incertitudes. Cela, sans oublier la puissance surhumaine des éléments et de la nature, typique des premiers romantiques, illustrée par le leitmotiv de la déferlante, plus déterminante que toute prière parce que plus concrète.
Il est aussi possible de faire de "Miseria" une lecture sociale. L'ouvrage dessine en effet, au travers de personnages plus ou moins nantis par leur naissance, les déterminismes à l'œuvre dans notre monde – en mettant en scène un contexte, une époque où ceux-ci s'avèrent pesants. L'auteure illustre également les rapports de classes sociales, par exemple au travers de mariages impossibles entre un riche, Hector Renard, et une demi-riche, Victoire Colombe. Or, depuis telle fable de Marie de France, une Colombe peut-elle s'approcher sans risque d'un Renard, ou est-ce un piège?
Et puisqu'il est question de réminiscences littéraires, il est également permis de penser à "Une Vie" de Guy de Maupassant, ce roman qui commence sous la pluie et finit dans les larmes, en passant par la mer, en lisant "Miserere" de Maeva Christelle Dubois. Les deux romans partagent l'idée que la vie n'a pas à être juste, qu'elle n'est pas toujours ce que l'on voudrait. Et à ce titre, "Miserere" semble mériter, lui aussi, le second titre du roman de Guy de Maupassant: "L'humble vérité".
Maeva Christelle Dubois, Miseria, Territet, Romann, 2022.
Le site des éditions Romann.
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