Mélanie Chappuis – En tentant l'aventure du roman historique, l'écrivaine suisse romande Mélanie Chappuis recrée par la plume quelques mois de la vie d'Adélaïde Sara Pictet de Rochemont, habitante de Lancy, près de Genève. Ce faisant, elle réussit à faire d'elle quelque chose de plus que l'épouse du diplomate Charles Pictet de Rochemont, et à lui offrir une visibilité méritée.
D'Adélaïde Sara Pictet de Rochemont, en effet, l'écrivaine recrée le portrait d'une femme au fait des enjeux politiques de son temps, engagée dans la vie de sa cité, entre autres par le biais de l'éducation d'enfants tant catholiques de protestants ou par l'élevage de moutons mérinos – que son mari exporte, pour sa part, jusqu'en Crimée. On est aussi très famille chez les Pictet, et le lecteur découvrira un parent qui compose, ou une sœur habile un pinceau à la main – en témoigne l'image de couverture.
Le récit se cristallise autour des années 1815/1816, en un temps où le destin suisse de Genève se noue et où la cité de Calvin doit apprendre à vivre avec des localités environnantes, savoyardes donc catholiques, mais rattachées au canton dans le sillage du Congrès de Vienne.
Pour son projet littéraire, abouti sur mandat de l'association Lancy d'Autrefois, l'écrivaine se plonge dans la lente correspondance qu'Adélaïde Sara Pictet de Rochemont entretient avec son mari, trop souvent envoyé aux quatre vents par les remous d'une carrière d'ambassadeur plus hasardeuse que celles qu'on peut vivre comme diplomate d'aujourd'hui. Cette correspondance, Mélanie Chappuis la revisite, lui donnant la forme, précisément, d'un "journal inventé".
Quelle en est la couleur? Sans forcer le pastiche, l'écrivaine retrouve avec naturel le ton de parole qu'on peut avoir au début du dix-neuvième siècle, esquisse même la mentalité d'une épouse vraiment alliée de son mari, ce qui ne l'empêche pas d'être libre de son côté. Ce journal permet de développer un dialogue à travers les siècles, parfois étonnant: il y a quelque chose de piquant à lire la Adélaïde Sara Pictet de Rochemont du journal, anglophile comme c'est la mode à l'époque, glisser plus d'un anglicisme dans les dires du journal, comme dans la correspondance d'origine de son modèle. Cela, tout en se riant d'une "écrivaine" moderne qui, elle écrit à l'ordinateur en écoutant les Beach Boys. Pourtant, en terminant la lecteur de ce "Journal imaginaire", le lecteur se dit que par-delà les siècles, ces deux-là se sont parfaitement trouvées.
Fruit d'un travail de redécouverte intensif et parfois ardu, par exemple lorsqu'il s'agit de décrypter la calligraphie parfois "carrelée" d'Adélaïde Sara Pictet de Rochemont, "Journal inventé" représente un beau travail de restitution de quelques mois d'une vie dans la campagne genevoise. Une vie vécue par une femme à l'aise mais qui n'a pas perdu le contact avec la terre et les gens simples qui l'entourent. Résultat: l'épistolière paraît reprendre vie, plus ou moins deux siècles après son décès, et semble ranimer toute une époque qui oscille entre local et global – et dont quelques illustrations en fin d'ouvrage témoignent par l'image.
Mélanie Chappuis, Journal inventé, Lancy, Editions des Communes Réunies/Lausanne, BSN Press, 2022.
Le site de l'association Lancy d'autrefois, celui des éditions BSN Press.
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