Yan Walther – Deux monologues de théâtre, pas moins: c'est ce que recèle le petit recueil "Quitter les eaux territoriales" de Yan Walther, publié aux éditions BSN Press. Ce sont deux ambiances, mais force est de relever qu'elles résonnent entre elles, en tout cas par l'évocation du poète russe Joseph Brodsky.
"Quitter les eaux territoriales" prend la forme d'un poème spoken word, texte indissociable d'un élément musical signé Christian Pralong, dont l'auteur donne les clés en début d'ouvrage pour partager l'expérience scénique avec le lecteur. À l'écoute, oui, on se laisse prendre par le magnétisme de l'auteur, qui se fait comédien, sobre et précis pour énoncer.
Mais j'avoue que si je suis justement en train d'écouter et de regarder la performance scénique de Yan Walther, c'est dans le calme du pur lecteur que j'ai découvert le poème. Tient-il debout tout seul? Le lire, c'est se plonger dans un poème qui contient sa propre musique, faite de répétitions, d'anaphores, de résonances.
Ces éléments disent l'exaltation d'un voyage hors des eaux territoriales, justement: on prend des risques, on renonce aux voyages all inclusive, qui n'en offrent jamais vraiment pour son argent, pour aller voir hors des sentiers battus. Du côté du fleuve Amour et de ses tigres, peut-être? Mais tout commence par l'idée originelle de, simplement, sortir de chez soi. D'ailleurs, étymologiquement, le fleuve Amour, dans sa Sibérie, est-il un fleuve amoureux?
La poésie de Yan Walther emprunte aux langues étrangères, en particulier le russe, au travers des poèmes de Joseph Brodski. S'ils sont présents dans "Quitter les eaux territoriales", ils le sont aussi, encore plus même, dans "Qui a décidé que vous étiez poète?", texte construit comme une lettre adressée à l'homme de théâtre Yves-Noël Genod.
L'auteur assume que ce texte n'avait pas forcément vocation à être rendu public, mais les circonstances ont permis qu'il soit divulgué, "performé" par Yves-Noël Genod, son destinataire, le 18 juin 2020, entre deux vagues de covid-19, au théâtre lausannois de l'Arsenic – un temps de confinement et de distanciation sociale où tout acte théâtral, fait social par excellence, était ô combien précieux. Le tropisme russe y est affirmé, pour le coup, au travers du partage d'expériences parfois rocambolesques vécues dans les coulisses du théâtre Mariinski à Saint-Pétersbourg.
En filigrane, l'auteur pose la question de la légitimité du métier de poète, entre autres au travers des limites posées par les choses intimes ou scatologiques. L'écriture est, du coup, plus spontanée, plus liquide aussi, moins travaillée, ce que montre la lecture publique, à la cool. Il est dès lors permis de s'interroger sur la pertinence d'une publication du texte. Dans un souci documentaire, cette partie du livre "Quitter les eaux territoriales" apparaît dès lors comme une trace laissée par l'auteur, et conservée par l'éditeur, d'un événement théâtrale passé, cependant précieux compte tenu de sa date de performance publique.
Yan Walther, Quitter les eaux territoriales, Lausanne, BSN Press, 2022.
Le site des éditions BSN Press, celui du Théâtre de la Recherche. Et le blog d'Yves-Noël Genod, à qui s'adresse "Qui a décidé que vous étiez poète?".
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