mercredi 16 mars 2022

Quand le blues et la mort résonnent, au fin fond du Mississippi...

Thomas Lécuyer – C'est dans le Sud des Etats-Unis, marqué par le racisme mais aussi par l'émergence du blues, que l'écrivain Thomas Lécuyer, lui-même passionné de musiques afro-américaines, place l'intrigue de son deuxième roman, "Moon Lake". Celui-ci prend la forme d'un roman policier à suspense, nimbé d'ambiances contrastées, tiraillées entre le caractère insupportable du régime de ségrégation et la promesse d'une émancipation des Noirs par la musique.

Tout débute avec la découverte de deux corps sans vie non loin du village de Lula, sur les rives d'un lac en forme de croissant de lune nommé Moon Lake. Pour le shérif du cru, le coupable idéal est vite trouvé: c'est Elliott Shine, Noir, garagiste de son état, lui-même né d'un père qui a tué sa femme. L'alibi d'Elliott est fragile, le mobile paraît évident à un agent aveuglé par son rejet des Noirs, en bloc. 

Bien sûr, c'est un peu trop simple, et l'intrigue se charge de révéler la vérité, un rien plus complexe et surprenante comme il se doit. Pour entretenir le suspense, bien sûr, l'écrivain n'hésite pas à jouer la carte des fausses pistes, sans toutefois insister: on n'est pas dans un polar à tiroirs, et si "Moon Lake" prend la forme d'une intrigue policière, c'est surtout comme véhicule de quelque chose de plus grand: la relation d'un mode de vie difficile, misérable mais non sans lumières, au fin fond de l'Etat du Mississippi.

Dès lors, c'est le personnage de Leonard Washington qui se retrouve au centre de l'intrigue. Apprenti mécanicien chez son cousin Elliott, c'est un bluesman hors pair, capable d'enflammer le bar du cru que fréquentent les Noirs comme d'animer les offices religieux donnés par son père pasteur. L'auteur a le chic pour en restituer la voix, qu'il imagine exceptionnellement mûre pour un gars d'à peine vingt ans. Mais il donne aussi un aperçu des "Cigar Box Guitars", ces instruments à corde(s) de fortune, protéiformes, utilisés alors. Plus largement, l'écrivain partage un certain état d'esprit lié au blues, qui s'accommode par exemple mal d'un bonheur excessif.

Autour du blues, l'auteur construit tout un univers où l'on boit tout ce qui se présente, de l'infect moonshine de contrebande jusqu'aux plus grands crus français, où les corps se frôlent et se frottent, s'étreignent même, mais où la violence a aussi sa place.

Il construit aussi une forme d'opposition entre la ville et la campagne, au travers de personnages tels que Molly, la journaliste amoureuse chargée de couvrir l'affaire du double homicide, qui va épouser la cause de l'émancipation des Noirs, ou l'avocat d'Elliott, une vedette capable d'éviter la peine de mort à ceux qu'il défend et qui est également dans une dynamique de défense de la justice sociale. Est-ce de la ville que viendra l'émancipation, d'ailleurs? Telle est la promesse faite au jeune bluesman qu'est Leonard Washington, rebaptisé Leo Wash Junior par son manager – belle scène d'ailleurs que celle où le musicien tente de le convaincre de l'engager.

Et c'est passionnant! Avec "Moon Lake", l'écrivain Thomas Lécuyer livre un roman accrocheur, façon page-turner, raconté au fil d'un rythme rapide impulsé par des chapitres courts. Qu'advient-il de Leonard Washington, de sa carrière musicale et de ses amours avec Molly? On n'en saura rien, l'auteur laisse la porte ouverte à l'imagination du lecteur. Qu'importe: justice est faite finalement, et c'est le principal. Et pour gâter le lecteur, l'auteur conclut en dévoilant le mystère des grands crus français servis par William Wilkerson, tenancier de l'auberge d'Uncle Henry, hantée par les Blancs.

Thomas Lécuyer, Moon Lake, Lausanne, Plaisir de lire, 2022.

Le site des éditions Plaisir de lire.

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