Maeva Christelle Dubois – Un gars de la ville arrive dans ce qui n'est pas même un village, un bled anonyme qui est "Le Hameau". C'est un comédien de médiocre envergure, aspirant cependant à la "grandeur". Dans "L'ode et le requiem", premier roman de Maeva Christelle Dubois, tout ou presque tourne autour de ce bonhomme nommé Kenshi. Il sera aussi question d'une musique de requiem mystérieuse, apparaissant au gré de pages écrites en ré mineur – la tonalité du "Requiem" de Mozart.
"L'ode et le requiem" s'ouvre sur des pages extrêmement descriptives, longues certes, mais aussi travaillées, plaçant le lecteur dans la peau du personnage de Kenshi – qui n'est pas encore nommé et apparaît comme l'étranger au village. La romancière excelle à montrer le côté à la fois fascinant et détestable de l'apparence du hameau, à coups d'oxymores bien trouvés: "A la toute fin de l'hiver, les terres qui bordaient le Hameau étaient d'une beauté innommable", dit ainsi l'incipit. L'écriture se déroule ensuite, visuelle: l'auteure installe un jeu de couleurs où le noir et le blanc dominent – noir du deuil, blanc de la neige. Kenshi est-il arrivé à sa mort?
L'auteure entretient un flou artistique autour de son propos: le village est anonyme on l'a dit, et quelques lieux sont cités, suggestifs: "L'Albe" renvoie à la blancheur, tout comme la "Nivéale", montagne qui joue un rôle clé dans "L'ode et le requiem". Cela laisse au lecteur l'impression d'être perdu en montagne. Tout au plus admet-on qu'on est à notre époque; mais pour réserver à l'hôtel du Hameau, il faut téléphoner, comme il y a une génération. Le flou est donc aussi temporel: le temps semble s'être arrêté il y a deux ou trois décennies au Hameau.
Ce Hameau est peuplé de gens énigmatiques, entièrement tournés sur eux-mêmes et sur la vie villageoise: un hôtelier, du personnel pour l'établissement, et des liens forts, familiaux, pas évidents. La maire du Hameau vient d'ailleurs; elle a dû se faire adopter, à force de s'intéresser à ce qui se passe ici. Le Hameau est aussi le lieu du sacré, à l'image de cette montagne nommée "Nivéale" que hantent des prêtres. L'auteure fait d'elle un personnage à part entière, humanisé, lui conférant par images les traits de caractère de la moquerie. Moquerie face aux hommes qui ambitionnent de l'escalader: ils n'y arriveront pas, ou mourront en route. C'est là que le fantastique s'immisce dans "L'ode et le requiem".
Fantastique? Oui: d'où vient en effet cette mélodie entendue de loin par Kenshi, et qu'il semble être le seul à ouïr? C'est là qu'arrive le personnage de Chara, post-adolescente diaphane et ambiguë, ni fillette ni adulte. La romancière lui confère une beauté, une allure irréelle, susceptible d'ailleurs d'émouvoir les hommes. Et pour pimenter le personnage, elle lui confère un caractère effronté. Ce personnage va donner à Kenshi une image édifiante de la "grandeur", motif qui hante le roman et que recherche Kenshi. Mais Chara existe-t-elle? Loge-t-elle vraiment dans la chambre 24? L'auteure entretient l'incertitude en convoquant les motifs de l'alcool et des champignons hallucinogènes, utilisés pour des rituels sacrés.
Face à la conception édifiante de la "grandeur" par Chara, l'image calculée qu'en a Kenshi apparaît presque dérisoire: monter sur les planches pour un spectacle supérieur, s'adonner à l'exercice vain consistant à monter au sommet d'une montagne, est-ce si important? N'est-ce pas simplement le fruit de l'orgueil, qui fait qu'un homme se surpasse pour recueillir à foison les fruits de son effort? Cela, face à un truc parfaitement gratuit qui donne à Chara un supplément de splendeur: mourir avec grâce, à l'épée, de façon choisie jusqu'au bout. Kenshi l'égalera-t-il?
On le comprend, "L'ode et le requiem" puise son inspiration dans les plus belles pages du romantisme: une jeune femme irréelle aux airs maladifs qui pourrait être une morte amoureuse qu'on n'ose toucher, un homme aux prises avec une nature qui le dépasse, le tout baigné par des ambiances empreintes de fantastique qui, par-delà les descriptions, assument quelques beaux éclats. Et la mort qui rôde, symboliquement (la faux de l'hôtelier) ou réellement (le suicide – mais plus généralement, on doute: avant même son suicide, Chara est-elle une nouvelle "Morte amoureuse" à la façon de Théophile Gautier?). Il y a aussi le rêve, les états de conscience modifiés... Privilégiant les ambiances rétro en noir et blanc pour s'offrir une dimension intemporelle, "L'ode et le requiem" assume sa modernité et constitue un livre romantique et fantastique d'aujourd'hui.
Maeva Christelle Dubois, L'ode et le requiem, Territet, Romann, 2019.
Lu par Francis Richard.
Le site des éditions Romann.
Je ne connais pas du tout mais ça a l'air d'être un très beau livre par le langage utilisé. Malgré tout, j'ai peur que ce soit un peu trop complexe pour moi à lire et ainsi à m’imprégner de l'ambiance.
RépondreSupprimerEn tout cas, tu as fait comme d’habitude, une très belle chronique.
Bonne journée !
C'est un beau roman en effet, aux ambiances travaillées. On peut aussi y voir un côté japonais.
RépondreSupprimerBonne journée à toi!