Pier Paolo Corciulo – La poésie peut-elle sauver un homme du naufrage? C'est ce que démontre "Le cri des mouettes", le tout dernier roman de l'écrivain neuchâtelois Pier Paolo Corciulo. Celui-ci met en scène un homme jeune, frappé d'amnésie après une tentative de suicide par noyade dans un lac. Pour reprendre pied, un seul indice: un recueil de poésies dédicacé, "Journal de bord maritime", écrit par un poète italien, Alessandro Lipari.
Elle est astucieuse, cette première partie qui permet au lecteur d'entrer par touches dans "Le cri des mouettes": elle est construite en sections courtes qui sont comme les bribes de mémoire d'un amnésique, étalées sans lien entre elles. Le sens produit est ténu au départ, mais force est de constater que les sections tendent à grossir. Comme si, déjà, les pièces de la mémoire du narrateur, Adriano, s'agrégeaient avant même qu'il n'en soit conscient, alors qu'il est encore dans le coma.
Puis le récit s'installe dans un rythme plus classique pour dire l'homme éveillé. Le lecteur le voit pleinement conscient mais amnésique, se demandant qui il est, s'il est même un con qui s'ignore, peut-être détesté par son entourage dans sa petite ville de Neuchâtel. Pour remettre Adriano sur pied, l'auteur lui imagine deux voies: se recréer une vie à Neuchâtel, à base de bistrots hantés, et partir vers les Pouilles, là où loge Alessandro Lipari. Ainsi, l'auteur suggère que la mémoire trouve des racines insoupçonnées, et qu'il convient parfois de s'éloigner de son petit chez-soi pour y voir plus large et plus clair.
Dès lors qu'Adriano rencontre Alessandro Lipari, naît une nouvelle dynamique, qui résulte du parcours des deux hommes. Par-delà tout ce qui les sépare, en effet, il y a deux éléments fondamentaux qui les rapprochent: les livres, bien sûr (Adriano est un architecte devenu libraire), mais aussi le deuil apparemment impossible d'une compagne. Dans une écriture rapide et juste, l'auteur dessine dès lors la manière dont les deux personnages vont, malgré des abords rugueux, reprendre pied ensemble. Avec l'aide de la poésie, bien sûr...
... et des mouettes, qui hantent ponctuellement le roman, qui crient puis chantent – elles semblent ouvrir pour Adriano la porte à un nouveau départ, sans doute avec Claire, la jeune femme qu'il a rencontrée dans le train et l'a fait se sentir bien, probablement sans le vouloir: telle est l'alchimie des rencontres fortuites et intenses. "Le cri des mouettes" est ainsi le roman lumineux d'un homme jeune cabossé qui se reconstruit, comme il reconstruit la maison incendiée de ses nouveaux amis en Italie. Ce faisant, il reprend pied grâce au voyage, à la poésie, et offre de surcroît un peu de sa lumière à plus d'un autre personnage.
Pier Paolo Corciulo, Le cri des mouettes, Fribourg, Presses littéraires de Fribourg, 2022.
Le site des Presses littéraires de Fribourg.
Qui doute du fait que la poésie sauve (homme ou femme confondues) ?
RépondreSupprimerEn effet! Et là, l'idée est bien illustrée, avec des personnages transformés en fin de récit. A découvrir!
SupprimerBonne fin de semaine à toi!