Tagbumgyal – Un moment de lecture au Tibet, ça vous tente? Traduit en diverses langues, l'écrivain Tagbumgyal compte parmi les auteurs tibétains les plus reconnus de sa génération. En publiant "Le chien, son maître et les parents proches" dans une traduction de Véronique Gossot, les éditions Intervalles offrent un aperçu représentatif de ce qu'il crée.
Et force est de constater que s'il y a un motif qui relie les trois nouvelles de ce livre, c'est bien celui du chien. Un motif cher à l'écrivain! Il lui permet, par contraste, de mettre à nu les travers des gens ordinaires vivant au Tibet au temps de la très athée Révolution culturelle – mais pas seulement, puisque ces travers et sentiments sont de toujours et de partout.
Intitulée "Le chien, son maître et les parents proches" a des allures de conte fantastique, fondé sur l'idée de la réincarnation, installée dès l'incipit, qui évoque Bouddha lui-même: "Le Maître compatissant a enseigné qu'il n'est pas d'être vivant qui n'ait été notre mère."
L'auteur fait dès lors s'entrechoquer la croyance religieuse, qui marque les comportements des personnages, et une Révolution culturelle qui a décidé de se débarrasser des chiens errants. Qu'en est-il de ce chien rouge auquel Köntho, personnage principal de la nouvelle, tient? Cela, sans oublier la question des parents proches: tout commence lorsque Köntho expulse sa mère de son domicile pour y vivre avec sa jeune épouse. Geste sacrilège, qui fait de Köntho un chien, précisément, aux yeux de certains.
C'est que du chien à l'homme, il n'y a pas grand-chose. L'auteur brouille dès lors la frontière avec les espèces. C'est tout le jeu de "Journal de l'adoption d'un hapa" – faux journal, soit dit en passant, puisque la nouvelle n'en adopte pas du tout la forme. Ici, l'écrivain met en scène un chien qui a la parole et a bien retenu sa leçon d'hommerie. Tout y passe, en un astucieux crescendo: ambitions professionnelles, avances ambiguës à l'attention d'une secrétaire, flagornerie.
Le chien, d'une race improbable nommée hapa, entre en résonance avec des personnages humains dont il révèle les travers exacerbés, à commencer par la violente jalousie du narrateur. Et comme symbole concret, le personnage favorisé par le hapa voit ses bottes admirablement cirées. Lèche-bottes, avez-vous dit?
Et des chiens, il y en a aussi dans "Le vieux chien s'est soûlé", qui met en scène un garçonnet qui va à l'école. Un chien saoul, c'est tout un monde: la bête a lapé le vomi de son maître, qui était ivre à l'excès. Encore une fois, on traque les chiens autour de l'école, parce qu'ils renvoient une mauvaise image. Vraiment? Les volte-face des uns et des autres soulignent l'ambivalence des humains pris dans des logiques de hiérarchie et de séduction de plus fort que soi, y compris dans un contexte dérisoire que l'auteur gonfle, à des fins de caricature.
C'est que mine de rien, on sourit en lisant "Le chien, son maître et les parents proches", un recueil de nouvelles traversé par une subtile ironie. Elle transparaît dans la mention de hiérarchies locales risibles à force d'être subdivisées et pourtant exagérément vénérées, ainsi que dans ces comportements si humains, éventuellement influencés par la superstition, par l'ambition ou par le poids des traditions familiales qu'il s'agit de mettre au jour. Le lecteur s'identifie par ailleurs aux personnages du livre, souvent masculins, toujours parfaitement ordinaires, en proie à un monde littéraire réaliste qui va à l'essentiel: les rapports entre humains.
Tagbumgyal, Le chien, son maître et les parents proches, Paris, Editions Intervalles, 2020. Traduction du tibétain et postface de Véronique Gossot.
Le site des éditions Intervalles.
Lu par Yves Mabon,
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