Baptiste Oberson – Avant même d'être un livre, la Table bleue, c'est une table de café placée au centre de la première salle du café du Tunnel, célèbre institution de la ville de Fribourg, qui a toujours été accueillante envers les marginaux, héritage du temps de sa patronne historique et charismatique, feu Mama Leone, aujourd'hui parfaitement assumé par Eric Mullener, son équipe et ceux du centre d'accueil "La Tuile".
C'est aussi un concept: pendant un an et demi, Baptiste Oberson a régulièrement posé sa machine à écrire sur la table bleue du bistrot social, dans un esprit d'ouverture et d'écoute. D'ailleurs, c'est marqué sur la table: "Permanence poétique, ouvert" – une manière d'être "visiblement disponible". Il fallait en faire un livre: c'est fait. Dans leur collection "La vie des gens", les éditions Faim de siècle gardent témoignage de cette expérience locale, de ses errements et de ses éclats de lumière. Bien entendu, le livre s'appelle "La Table bleue".
Manager culturel de BlueFactory, Martin Schick signe la courte préface de "La Table bleue". C'est surtout une manière d'ouvrir la porte: elle annonce au lecteur ce qu'il va trouver. A savoir des fragments de vie, collectés avec patience, ce qu'il appelle la Langsamkeit qui invite à revoir ce qui se passe autour de nous. Elle est précédée d'une introduction de l'auteur: autant dire qu'on entre tout en douceur dans le vif du sujet.
Dès lors, l'auteur développe peu à peu, en des chapitres courts, ce que des interlocuteurs anonymes lui ont confié. Ce sont des éclats de vie, comme ce Brésilien qu'on veut toujours renvoyer au football parce que ça paraît typique de son pays, ou cette fillette qui demande: "Et ceux qui ratent l'examen pour devenir maman? Ils deviennent papa?"
On croise toutes sortes de gens qui assènent leur bon sens ou leurs vieilles histoires, comme le gars qui lâchait des poissons dans la piscine de la Motta. Des hommes, des femmes, des "ils" et des "elles". Autant de vies banales sur lesquelles l'auteur ouvre une lucarne singulière à partir d'un rapide témoignage: un artiste en panne d'inspiration, un Italien qui fabrique des pâtes qu'il vend au marché et connaît les leçons que la vie lui a données. Comme d'autres, succincts ou prolixes: sagesse de bistrot.
Et derrière ces histoires, il y a toujours l'ambiance du café, en arrière-plan, comme un bon enregistrement de piano-bar qui laisse entendre les conversations et les bruits de vaisselle. Certes à l'écoute, l'auteur des éclats de "La Table bleue" ne manque pas de noter ce qui se passe au bistrot, par exemple un bonhomme qui lit un livre sur lequel c'est écrit "Hitler" quelque part à la périphérie (p. 64), ou des touristes qui prennent des photos à travers la vitrine. Leur focale est sans doute plus précise que celle de l'écrivain, qui regarde large et dessine: faussement sommaires, ses croquis paraissent toujours un peu décalés, mal visés. Saisis sur le vif, en somme, désireux de donner l'impression d'avoir été captés trop vite.
Les temps morts de son activité de permanence poétique lui offrent le temps de méditer, et cela s'intègre aussi à "La Table bleue". En page 44, par exemple, l'attente fait songer à Georges Haldas et à sa "Légende des cafés". Et l'auteur réfléchit aussi aux raisons de passer du temps au café. Elles sont marquées par le bon sens: voir des gens, sourire, se rencontrer.
Et les mots s'étendent. Comme les gens qui les prononcent et que l'auteur retrace, ils sont simples dans "La Table bleue", helvétiques parce qu'on dit comme ça ici. En les remâchant à sa manière, l'écrivain recrée toute une ambiance de café populaire. Et comme Le Tunnel cultive une image de bistrot à l'ancienne, sa bonne vieille machine à écrire Hermès Baby crépitante (j'ai la même en vert, ce n'est pas une blague!) s'y intègre à la perfection... tout en suscitant la curiosité à l'heure où l'on écrit plutôt sur son ordinateur portable.
Baptiste Oberson, La Table bleue, Fribourg, Faim de Siècle, 2019. Préface de Martin Schick.
Le site de Baptiste Oberson, celui des éditions Faim de Siècle.
Même si c'est un autre genre, l'idée me fait tout de même penser aux livres "Brèves de comptoir" de Jean-Marie Gourio qui sont des citations recueillies de la vie quotidienne dans les bars et bistrots.
RépondreSupprimerIl y a sans doute un peu de ça, même si l'auteur de "La Table bleue" recherche les éclats de vie quotidien davantage que l'humour.
Supprimer